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foi, cette aristocratie constitutionnelle, si elle existe quelque part chez nous, est-ce dans la chambre des pairs ? Est-ce là qu’elle se forme et qu’elle se développe ?

Les partisans de la pairie élective se rencontraient avec les partisans de la pairie héréditaire dans l’augure qu’ils faisaient de l’avenir de la pairie nommée par le gouvernement. « Attribuer à la royauté seule, ou pour mieux dire au ministère, la nomination des pairs, c’est remplacer le hasard de la naissance, dont on se plaignait à bon droit, par l’arbitraire ministériel, dont on se plaindrait à meilleur droit encore ; c’est déconsidérer la chambre des pairs, la mettre à un degré incommensurable au-dessous de celle des députés… c’est laisser la pairie sans racines dans la nation et dès-lors sans influence, tout en voulant l’élever comme une barrière entre la royauté et la démocratie… c’est donner au trône trop de force légale dans les temps de calme et pas assez de force réelle pour les temps de crise[1]. »

M. Decazes enfin, dans le rapport qu’il présenta à la chambre des pairs au nom de la commission chargée d’examiner la loi de la pairie, M. Decazes, combattant le système des catégories, disait avec une prévoyance devenue presque prophétique : « Est-ce bien répondre à l’institution de cette chambre que d’en faire la retraite presque nécessaire de tous les fonctionnaires de l’état ? Sont-ce les emplois publics que la charte nous appelle à représenter ? »

En face de ces sinistres augures sur l’avenir de la pairie, qui frappaient les yeux de tous les législateurs de 1831, ceux qui défendaient le projet du gouvernement, c’est-à-dire l’abolition de l’hérédité et la nomination royale, suppliaient le gouvernement d’être extrêmement scrupuleux dans le choix des membres de la chambre des pairs, et de bien comprendre l’immense responsabilité qui s’attachait à de pareilles nominations. « La nomination des pairs de France sera pour les conseillers de la couronne le sujet d’une grande responsabilité : elle leur imposera le devoir d’être sévères dans l’appréciation des titres d’admission ; car, si la faveur pouvait dicter un seul choix, il déconsidérerait tous les autres[2]. » - « Le droit de nommer des pairs est le plus beau trésor d’un roi constitutionnel. C’est avec cette monnaie, habilement économisée, qu’il doit récompenser les talens et les grands services. Le ministère qui, dans des vues autres que celles d’un juste

  1. M. Lherbette, page 16.
  2. Rapport de M. Bérenger, page 35.