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douloureux et attendri, qui exprimait tous les sentimens de son ame. — Adieu ! dit-elle mentalement ; adieu, noble demeure d’où la pauvreté me chasse ! S’il m’eût été permis de passer tristement et solitairement ma vie à l’abri de ces murs ruinés, si l’on m’eût laissé une petite place au foyer paternel et le droit de m’asseoir à la table indigente où je n’aurais peut-être pas trouvé le pain de chaque jour, je n’aurais pas abandonné ma famille et renié mon nom….

Ces pensées, cet éternel adieu, étaient mêlés de larmes silencieuses que Mlle de Colobrières essuyait d’une main, tandis que son autre main, passée au bras de Pierre Maragnon, s’y retenait instinctivement par une craintive étreinte. Le marchand, fier comme un monarque, chevauchait la tête haute, le cœur joyeux, rêvant au bonheur et à l’honneur qui l’attendait. Une fois hors de vue du château de Colobrières, il mit son cheval au pas, et prit la liberté de demandera Agathe si elle avait quelque dessein en allant à Saint-Peyre.

— Le dessein de me marier avec vous aujourd’hui même, répondit-elle simplement.

Ces paroles firent tressaillir intérieurement Pierre Maragnon. Dans son ravissement, il fut près de porter à ses lèvres la petite main qui serrait sa manche de ratine verte ; mais, retenant l’expression de ses sentimens, il se borna à répondre du ton le plus respectueux : — Je n’aurais pas osé prendre sur moi de vous presser à ce sujet, mademoiselle ; pourtant je pensais que dans votre position le parti le plus convenable que vous pussiez prendre était de ne pas différer l’honneur que vous voulez me faire, et votre résolution me comble de joie. Si vous voulez, nous laisserons mon monde aller au petit pas, et nous prendrons les devans pour arriver les premiers.

— Oui, c’est une bonne idée, répondit Agathe ; il faudrait arriver à Saint-Peyre avant l’heure de la messe.

Le marchand donna de l’éperon à son cheval, et, le détournant de la route, il le lança à travers champs ; de cette manière, il eut bientôt dépassé la caravane, qui défilait posément entre deux ornières si profondes, que les gens mal intentionnés auraient pu s’y mettre en embuscade. Agathe, un peu effrayée de la vive allure du cheval, retirait sous sa jupe ses pieds mignons, et étreignait des deux bras son cavalier, lequel ne ressemblait pas mal, en ce moment, à Pierre de Provence enlevant la belle Maguelone.

Il était environ sept heures du matin lorsque le jeune couple arriva devant l’église de Saint-Peyre : déjà le sacristain avait sonné le premier coup de la messe ; mais la population villageoise était aux champs, et il