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et il l’était trop ; l’Angleterre a eu honte de cet agent trop dévoué, de ce bourreau trop sanguinaire, de ce financier trop habile à l’enrichir. Burke a élevé la voix en faveur de l’humanité blessée ; il y était sollicité non-seulement par le sentiment de l’équité, mais par des antécédens assez peu connus et des rancunes de famille, légitimes d’ailleurs et honorables. William Burke, son cousin, avait été fort maltraité par Hastings. « Mon pauvre parent, lui dit Edmond[1], les horribles persécutions que vous avez subies appellent la vengeance. » William Jones, le doux et aimable orientaliste, avait, dans ses conversations, accru la haine de Burke contre le Gengiskan du commerce anglais. Enfin, les deux envoyés du nabab Ragganaut, accueillis dans sa maison, augmentèrent son goût pour les mœurs affables et les habitudes sévères et courtoises de leur pays.

Ce fut lui qui anima tous ses amis au combat dont le résultat devait être la chute du ministère nouveau, on l’espérait du moins. On n’y réussit pas. Le procès d’Hastings fut un long spectacle, et voilà tout. L’Angleterre y assista sans l’approuver complètement. Burke, Fox, Sheridan, toute l’opposition, en dirigeant contre ce spoliateur leurs forces réunies, encourageaient-ils donc l’Angleterre à l’ingratitude ? Non ; Hastings mis en cause n’offre pas un exemple de l’ingratitude des nations, mais de leurs remords. La vieillesse de cet homme n’a pas été aussi misérable qu’on l’affirme, et, pour un agent parti de si bas, arrivé si haut, ce n’est pas une petite destinée de conquérir des royaumes, de lutter contre Burke, et d’avoir encore, après sept ans de procès, de l’influence et des partisans. L’Angleterre, qui s’est effrayée de lui, en avait certes le droit ; il avait enrichi sa patrie, mais à quel prix ? Elle devait le lui demander. Hastings était l’instrument sanglant de l’Angleterre. En face de lui, comme ce roi de Shakspeare en face de l’homme qui a interprété son geste et tué l’ennemi du monarque, elle se trouvait à la fois honteuse et satisfaite. « Ah ! je le voulais ! Qui te l’avait dit ? Qui te l’avait demandé ? Qui t’avait permis d’interpréter mes desirs et de lire dans ma pensée ? L’ordre du meurtre, le signal, te l’ai-je donné ? C’est donc ainsi qu’il t’a plu de traduire un coup d’œil, un clignement, un pli de mon front ! Malheureux rois, malheureux peuples ! d’avoir près de vous des interprètes si habiles ! »

De 1783 a 1792, la vie du moraliste politique est envahie par cette grande cause qui ne fait point avancer d’un seul pas les affaires, et

  1. Tome III, p. 260.