Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ses vices la tenue austère de Burke et sa moralité. Il ranima la discussion, en fit une querelle, et jeta l’invective à la tête de Burke :


« C’est un déserteur qui fuit notre bannière. Chargé de nos secrets, maître de tous les plans formés par les amis de l’Angleterre, il tourne le dos à la liberté qu’il a prétendu servir, et l’attaque dans son sanctuaire. Calomniateur de cette liberté, il se met en avant sans provocation, sans prétexte, et livre la guerre à ceux qui se dévouent aux intérêts les plus chers du genre humain »


Burke ne daigna pas même le regarder, et sans engager de nouveau la discussion :


« Le fantôme d’une amitié d’autrefois aurait dû inspirer assez de respect pour que l’on nous épargnât ce langage. J’y suis accoutumé d’ailleurs c’est celui des clubs vulgaires et des sociétés où l’honorable membre a eu récemment le malheur de s’égarer. A l’approbation dangereuse, aux funestes applaudissemens de ses amis nouveaux, il sacrifie ses amis anciens, et ne voit pas que ce qu’il gagne ne vaut point le prix dont il le paie. Dorénavant notre route politique est entièrement distincte.

« J’épuiserai mon dernier souffle et la dernière goutte de mon sang pour la constitution de l’Angleterre ; s’il le faut, je renoncerai à mes plus tendres amitiés ; j’irai m’asseoir parmi mes adversaires les plus acharnés plutôt que de laisser ce poison des opinions nouvelles pénétrer dans ma patrie. »


Burke était sincère, et sa troisième lutte, plus violente et plus effrénée que les deux autres, sa lutte corps à corps avec la révolution française, fut plus amère encore et plus malheureuse. Cet homme si sagace n’a pas compris le vrai nœud de la situation ; cet homme si moral n’a pas reconnu les immoralités expiées par un peuple et un siècle tout entier ; cet homme si passionné n’a pas réfléchi que la passion entrait pour les trois quarts dans les élémens de la révolution française, et les intérêts pour le dernier quart. Il n’a jamais voulu la considérer comme une vengeance ; mais seulement comme un vol. Toujours épris de sa théorie aristocratique des whigs de 1688, il n’a pas vu que cette frêle et misérable machine de la monarchie française s’en allait en pièces disjointes. Plein de l’idée de l’ordre, les hommes qui renversaient l’ordre lui ont apparu comme des bandits, rien de plus. Ses lettres à Mercer et à Francis[1] sont remplies de ces idées de la propriété compromise, de la vie menacée, des citoyens en péril ;

  1. Tome III, 461, 680.