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été témoins d’une tentative pour enlever à la France le transit de la malle anglaise de l’Inde au profit de l’Allemagne et de la Belgique. Un spéculateur qui ambitionne depuis plusieurs années l’exploitation des transports de Bombay à Londres, le lieutenant Waghorn, avait de longue main préparé un voyage qui devait réaliser la plus grande célérité possible en débarquant à Trieste, au lieu d’arriver d’Alexandrie à Marseille. Cependant comparé au voyage par Marseille, le passage par Trieste a eu pour résultat quatorze heures de retard, et le lieutenant Waghorn n’avait avec lui que quelques dépêches, tandis que la malle de Marseille contenait, dans un fourgon fort lourd, plus de trente boîtes renfermant chacune cinq mille lettres. Encore ne parlons-nous pas, pour les expériences futures, de la difficulté ou de l’impossibilité de traverser les Alpes en hiver. Néanmoins, cette tentative, l’empressement avec lequel les gouvernemens de l’Autriche, de la Bavière, du Wurtemberg, de la Prusse, du grand-duché de Bade et de la Belgique l’ont secondée, nous doivent servir d’avertissement pour améliorer le plus vite possible nos voies de communication. Il est un moyen décisif : c’est la prompte construction des trois chemins de fer qui doivent rapprocher si fort la Méditerranée de l’Océan. Quand un triple rail-way courra de Marseille à Boulogne, il n’y aura plus pour nous de rivalité redoutable, dussent même nos concurrens multiplier les tronçons de chemins de fer de Trieste à Ostende. C’est par la nature même des choses que le transit par la France est le plus prompt et le plus facile. Sachons donc tirer profit de tous nos avantages d’une manière rapide et complète. Cette fois, l’Allemagne ne se contente plus d’exécuter des chemins de fer ; elle vient porter chez nous la guerre de la concurrence. On dirait en vérité que nous avons changé de rôle ; c’est maintenant la France qui est attardée par sa propre lenteur.

L’état des récoltes, dans une grande partie de l’Europe, a sérieusement, inquiété les esprits ; mais les craintes que l’on avait d’abord conçues commencent à se dissiper. On a fini par s’apercevoir qu’on s’était exagéré le mal. C’est en Angleterre surtout que les inquiétudes ont été vives. La peur de la disette y est, pour ainsi dire, endémique, soit qu’en réalité les produits du sol y suffisent à peine aux besoins, soit que la séparation d’avec le continent y prédispose les esprits à s’effrayer facilement. Ces appréhensions excessives sont fâcheuses, car elles ébranlent le crédit et troublent le cours régulier des transactions. Le ministère anglais a trouvé la situation assez grave pour en délibérer à plusieurs reprises. Il a même agité la question de savoir s’il ne conviendrait pas d’ouvrir, par mesure provisoire, les ports de la Grande-Bretagne aux grains étrangers. Cependant, après s’être assemblé quatre fois dans une semaine, le conseil des ministres s’est séparé sans rien conclure, sans prendre d’autre résolution que celle d’ordonner une enquête, par laquelle on saura simplement avec plus d’exactitude ce qu’on aurait appris par les mercuriales et les prix courans des marchés. Il est remarquable qu’on n’ait jamais pu, ni en Angleterre ni en France, dresser un état vraiment fidèle des ressources ordinaires de la production. Chez nos voisins, on s’est ar-