Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 12.djvu/717

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instruisent, et nous offrent sur la vie intime du Nord tout un ensemble de gracieux documens.

L’action développée dans les Voisins est fort simple : c’est l’antique donnée de l’enfant prodigue transportée au milieu de la Suède du XIXe siècle. Bruno Mansfelt est le fils coupable et déshérité d’une femme en qui revivent toutes les austères vertus des vieux Scandinaves. Les égaremens de cette nature violente et farouche ont mérité un châtiment terrible : Bruno a été maudit par sa mère. Il fuit le toit de ses ancêtres, et une carrière orageuse, la vie du corsaire et du joueur, commence pour lui. Combien de femmes éperdues il a séduites, combien il a défié d’orgies frémissantes, combien de victimes il a sacrifiées à l’insatiable fureur de ses passions, qui pourrait le dire ? Pourtant un jour arrive où le dégoût succède à cette exaltation maladive ; une inexprimable mélancolie s’empare de Bruno. Il se souvient de la Suède, et il pleure. La malédiction maternelle retentit encore à son oreille ; l’image d’une jeune fille, les émotions d’un premier amour, agitent ce cœur que la débauche n’a pu flétrir. C’en est fait : Bruno revient en Suède, il revoit le toit de ses pères, et après des luttes douloureuses, après mille alternatives de bonheur et de désespoir, de tendresse et de colère, la réconciliation s’accomplit, le drame se dénoue. Bruno obtient le pardon de sa mère avec la main de la jeune fille qu’il n’a cessé d’aimer.

Telle est, en quelques mots, la partie dramatique du roman. À notre avis, c’est de beaucoup la moins intéressante, et ce que nous préférons, ce sont les développemens, les détails qui viennent se placer dans ce cadre essentiel. Le caractère de Bruno pèche contre la vraisemblance, et on ne saurait s’en étonner. En donnant à Bruno les sauvages allures des héros de Byron, Mlle Bremer s’écartait des voies familières à son talent. L’imagination ne pouvait guère ici remplacer l’expérience. — Eh quoi ! peut-on dire à l’auteur des Voisins, vous faites de Bruno un frère indomptable du Corsaire et du Giaour ; le cœur de don Juan bat dans sa poitrine, il parcourt le monde entier, chassé d’un pôle à l’autre par la tempête de ses passions ; et puis, ce qu’il faut pour calmer cette ame furieuse, pour transformer en fils respectueux et timide l’insatiable joueur, le libertin blasé, c’est le pardon d’une mère, et moins encore, le vague espoir de ce pardon ! Gracieuse inconséquence, d’ailleurs, et qu’on aime à trouver sous la plume d’une femme. Il n’appartient qu’aux ames excellentes de commettre de ces erreurs et de donner à Lara le dénouement de Grandisson.

Mlle Bremerr est plus heureuse quand elle ne se trouve pas aux prises avec ces créations farouches qui apportent le trouble et le désordre dans son petit monde si frais et si calme. Son imagination, éclairée par la mémoire, évoque sans effort mille créations naïves et charmantes. Mme Mansfelt, Franciska, Werner, Serena, les Dahl, sont des figures à la fois poétiques et vraies, dont le charme et le naturel demandent grace pour quelques parties exagérées du caractère de Bruno. Il y a tout un ordre de sentimens que cette plume discrète excelle à rendre. L’amour inquiet de la jeune fille, la gravité sereine