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et leurs gestes dévoilèrent, c’est le mot propre, des bras admirables de blancheur et de formes. Le capitaine ne voulut jamais s’arrêter, et à Widdin seulement nous apprîmes que ces dames étaient des Circassiennes que Hussein-Pacha venait d’acheter pour les menus plaisirs de son fils, âgé de douze ans. Ce furent les seuls incidens de notre traversée. Le Bosphore disparut bientôt, et nous entrâmes dans la mer Noire. La mer Noire est, en été, bleue comme le ciel oriental, et elle doit sans doute sa sombre qualification aux ouragans qui rendent si terribles, pendant l’hiver, ses côtes sans abris et sans rades.

Le lendemain matin, en approchant de Varna, nous rangeâmes de très près la terre ; le rivage, que je croyais aride, était au contraire bordé de forêts épaisses et de taillis verdoyans. Varna est une ville de seize mille habitans, resserrée, sale, rougeâtre, et, comme toutes les villes turques, triste et silencieuse. Derrière les toits, on entrevoit une vallée large et poudreuse entourée de montagnes bleuâtres qui me firent penser à la plaine d’Athènes. On ne se souvient guère qu’en 1444, Amurat II vainquit, sous les murs de Varna, Ladislas VI, roi de Pologne ; mais nul n’a oublié l’héroïque défense de cette ville en 1828. Là, les Ottomans se montrèrent dignes de leurs ancêtres. Le corps d’armée du prince Mentchicoff eut souvent le dessous durant ce long siège, que l’empereur vint activer lui-même à deux reprises différentes ; un régiment russe tout entier fut taillé en pièces par un corps d’Albanais, et, sans la trahison d’Youssouf-Pacha, qui commandait en second dans la ville, les Russes auraient dû battre en retraite aux approches de l’hiver. Ce fut en partie, on s’en souvient, la résistance inattendue de la garnison de Varna qui changea l’opinion de l’Europe à l’égard des Ottomans. On oublia les Hellènes pour admirer le courage de leurs ennemis, et, pendant un instant, les Turcs furent de mode à leur tour. En outre, l’opiniâtreté des Russes étonna, fit naître des craintes, et l’on s’avisa de songer, un peu tard, que la destruction de la flotte ottomane à Navarin avait été une grande imprudence. Nous ne restâmes à Varna que le temps de prendre un passager, et nous arrivâmes dans la nuit à Kustendjé.

Kustendjé, où nous débarquâmes le lendemain, n’a pas de port, une mauvaise crique tout au plus. C’est un pauvre hameau composé de huttes assez semblables aux habitations des castors ; quelques femmes déguenillées, quelques sales bohémiens, rôdaient seuls sur la plage. La population tout entière est de cent cinquante habitans environ qui mouraient de faim, lorsqu’un ingénieur désigna leur village comme le point de relâche des bateaux du Danube. — Le débarquement s’opéra