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l’emmenant ainsi, tandis qu’Éléonore marchait seule et un peu en avant d’un air satisfait et pensif.

En entrant dans la salle, Gaston s’inclina devant son père, comme pour s’excuser.

— Holà ! monsieur le chevalier, vous choisissez mal le temps de vos promenades, dit le vieux gentilhomme en fronçant le sourcil ; il n’est pas séant de s’en aller ainsi quand il y a des hôtes au château, car il vous appartient aussi de leur en faire les honneurs ; j’espère que vous ne nous quitterez plus de la journée.

Le cadet de Colobrières s’inclina de nouveau avec un geste de respect et de soumission, sans même essayer d’expliquer et de justifier le fait qui lui valait cette paternelle admonestation ; mais Éléonore, prenant vivement la gerbe de fleurs et de fruits qu’Anastasie tenait dans son tablier, l’apporta aux pieds du baron, et lui dit avec son plus gracieux sourire :

— C’est pour avoir le plaisir de vous présenter ce bouquet merveilleux que mon cousin a fait une si longue promenade ; s’il me l’avait offert à moi, certainement qu’au lieu de le gronder, je l’aurais remercié de grand cœur.

— Comment ! belle nièce ; il ne s’est pas hâté de vous en faire hommage ! s’écria le baron ; de mon temps, les jeunes gentilshommes étaient plus attentifs auprès des dames, plus empressés, plus galans. En vérité, j’étais bien autrement aimable jadis, lorsque je faisais ma cour à Mme de Colobrières. Permettez, mademoiselle, que j’apprenne à monsieur mon fils comment il devait agir en cette occurrence.

À ces mots, le baron se leva, fit une profonde révérence, présenta le bouquet, et baisa l’une après l’autre les deux belles mains qui s’avançaient pour recevoir son offrande.

À ce dernier trait, Gaston perdit contenance tout-à-fait, et, au lieu de prendre place à table, il fut prêt de s’enfuir ; il lui semblait que sa charmante cousine devait se moquer au fond de l’ame de sa gaucherie et de sa timidité ; cette pensée lui était si douloureuse, qu’il sentait son cœur se gonfler de colère contre lui-même, et qu’en vérité il eût donné sa vie pour rien en ce moment. Bien qu’il sût se contraindre, et que l’espèce de leçon qu’il venait de recevoir ne parût pas lui avoir donné la moindre humeur, Éléonore comprit qu’il était secrètement troublé, qu’il souffrait même, et elle essaya d’effacer cette pénible impression.

— Mon cousin, dit-elle, où donc êtes-vous allé chercher ces belles