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— Il y a là-bas sous la colline un endroit où nous allions souvent avec Anastasie l’hiver dernier, ajouta Gaston ; on l’appelle la Roche du Capucin.

— Parce que les bonnes gens se figurent que l’on voit sur le roc vif l’empreinte d’une sandale, dit Éléonore ; moi aussi, je suis allée me promener de ce côté, et je connais bien la Roche du Capucin et ses environs.

— C’est là que nous nous rencontrerons, dit Anastasie ; j’y viendrai avec Gaston, vous vous y rendrez de votre côté.

— Oui, répondit Éléonore ; Mlle de la Roche-Lambert m’accompagnera ; le trajet n’est pas long, nous le ferons à pied.

— Seules toutes deux à travers la campagne ? interrompit Anastasie ; ne faites pas cela, cousine ; le vallon est désert ; vous pourriez rencontrer quelque mauvais pauvre.

— Si j’avais derrière moi le chien de mon cousin, ce serait une escorte suffisante, dit Mlle Maragnon en souriant ; mais, à défaut de ce brave Lambin, je trouverai bien quelqu’un pour nous protéger.

Le carrosse arrivait à l’entrée de la plate-forme ; sur un signe d’Éléonore, le cocher arrêta ses chevaux. L’on se fit alors de tendres adieux ; la baronne serra dans ses bras Mlle Maragnon en l’appelant sa nièce bien-aimée, et lui dit à l’oreille : — Chère enfant, assure ta pauvre mère de mon amitié, et embrasse-la pour moi… de ma part, entends-tu bien ?…

— Allons, mademoiselle ! allons ! madame votre mère est impatiente de vous revoir, cria Mlle de la Roche-Lambert du fond de la voiture.

Éléonore embrassa une dernière fois Mme de Colobrières ; puis, se tournant vers Gaston qui demeurait à l’écart, elle lui tendit la main avec un geste timide et en disant d’une voix émue : — Adieu, mon cousin….

Une minute plus tard, le carrosse roulait rapidement vers Belveser, et la famille de Colobrières rentrait tristement au château. Cette visite avait été pour elle un grand événement. Anastasie et sa mère en étaient fort préoccupées ; mais il y eut dès-lors comme une convention tacite de n’en jamais parler en présence du baron, et au souper le nom d’Éléonore ne fut pas prononcé.

Les soirées étaient longues déjà, et l’on faisait la veillée autour de la table. Le baron recommença à jouer aux cartes avec sa femme ; Anastasie s’accouda pensive sur le tapis comme pour suivre la partie, et le cadet de Colobrières alla rêver sur la terrasse. Pour la première fois de sa vie, il comprenait certaines idées qui se trouvaient dans ses