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POÉSIES, par Lafon-Labatut[1]. — Bien que le don de poésie soit de sa nature une chose essentiellement imprévue, et que ce souffle, comme celui de Dieu, aille où il lui plaît, on ne peut s’empêcher d’être surpris chaque fois qu’on voit ce talent se déceler tout d’un coup, et sortir de terre avec fraîcheur dans de certaines circonstances qui semblaient faites plutôt pour l’étouffer ; s’il n’y a pas lieu toujours de crier au miracle, ce n’est jamais le cas non plus de faire les inattentifs et les dédaigneux. Voici donc encore un poète, un de ceux que l’adversité semblait devoir éteindre, et qu’elle a seulement excités. Nous emprunterons à la simple et touchante notice que M. Pellissier a mise en tête des Poésies de M. Lafon-Labatut quelques détails qui en expliquent l’origine et la publication. Il y a au moins vingt ans de cela, M. Raynouard, l’auteur des Templiers et le savant philologue, vivait encore et habitait, à Passy, un petit ermitage studieux et riant, la maison du sage. Il avait pour secrétaire, pour collaborateur dans ses recherches, M. Pellissier, homme instruit et modeste. Un soir d’hiver arrivèrent à pied, dans le village, un homme et un enfant épuisés de fatigue ; ils vinrent frapper à la porte de M. Raynouard, demandant l’hospitalité. C’étaient le jeune Lafon-Labatut, alors à peine âgé de cinq ans, et son père. Celui-ci avait eu, il paraît, une vie fort errante et orageuse : après avoir un instant brillé à Paris dans la jeunesse dorée du temps, il s’était engagé, avait fait la guerre et couru le monde, puis s’était. marié à Messine ; là, un jour, regrettant la patrie et songeant aux moyens d’y revenir, il lui tomba entre les mains un des volumes des Troubadours, dans la préface duquel M. Raynouard nommait avec éloge M. Pellissier. Lafon-Labatut y reconnut le nom d’un ancien ami, et il partit là-dessus de Messine pour Paris, emmenant sa femme et son jeune enfant. La pauvre femme était morte de la peste en route, à Gibraltar ; le père et l’enfant, après mille traverses, exténués de misère et de besoin, arrivaient donc seuls, ils furent reçus avec cordialité. « M. Raynouard, nous dit le biographe, touché de tant d’infortunes et des graces naïves du petit Sicilien, lui témoigna le plus vif intérêt, se plaisant à le faire babiller dans son idiome natal, auquel l’accent de sa voix enfantine prêtait encore plus de charme. »

Après un temps de repos, les voyageurs partirent pour le Bugue, petite ville du Périgord, où était né le père qui bientôt y mourut. L’enfant, recueilli par un curé de village, marqua de bonne heure des dispositions d’artiste ; il avait rencontré par hasard une traduction de l'Iliade, il se mit à en figurer avec de l’argile et à en charbonner sur les murailles les dieux, les déesses et les héros. La mort du bon curé le laissa sans ressources ; c’est alors qu’il revint à Paris, rappelé par l’ami de, son père. Livré à sa vocation naturelle, il apprit le dessin sous M. Sudre, et put entrer dans l’atelier de Gérard. Ses progrès rapides promettaient un artiste de talent, lorsqu’une ophthalmie cruelle vint l’arrêter au plus fort de son travail, au plus beau de son rêve.

  1. Furne, rue Saint-André-des-Arts, 55.