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même peuple qui avait cette notion élevée, purifiée de l’autre vie, se livrait, sur la plus grande échelle, au nom de la religion, à des exécutions matérielles, sous la forme la plus hideuse. Le bûcher que d’autres religions ont employé cache au moins la victime dans des flots de fumée. Ici l’offrande était une effusion de sang ; le sang était répandu, étalé, on en faisait parade à la face du soleil, sous les regards attentifs d’une foule immense. Conduite par les prêtres processionnellement à pas lents, au son de la musique et au milieu des chants du rituel, la victime gravissait une pyramide qui formait le temple, et dont on faisait le tour à chacune des trois ou quatre terrasses qui la partageaient en étages. La pierre du sacrifice était tout en haut, en plein air, entre les deux autels où brûlait, nuit et jour, le feu sacré, devant le sanctuaire en forme de tour élancée qui recélait l’image du dieu. Le peuple assemblé au loin contemplait, dans un profond silence, sans perdre aucun détail. La victime enfin, après des prières, était étendue sur la pierre fatale. Le sacrificateur, quittant la robe noire flottante dont il était ordinairement vêtu, pour un manteau rouge, s’approchait armé du couteau d’itzli, lui ouvrait la poitrine, en retirait le cœur fumant, barbouillait de sang les images des dieux, versait le sang autour de lui, ou en faisait, avec de la farine de maïs, une horrible pâtée. Voilà ce qui s’alliait pourtant avec la passion des fleurs, avec les idées les plus pures ; voilà ce dont on venait repaître ses yeux cinquante fois par an, après s’être, la veille ou le matin, doucement balancé dans une atmosphère embaumée, au milieu d’une végétation riante, sur les eaux du lac, à bord des féeriques chinampas !

Diverses circonstances redoublent la stupeur que causent de telles pratiques de la part de ces peuples et forcent d’admettre qu’elles procédaient, comme nous l’avons dit, de la doctrine d’expiation interprétée par une atroce frayeur : la peur est féroce mille fois plus que le courage. A côté de ces cérémonies de sang, le culte des Aztèques en présentait d’autres d’une candide innocence ; on eût dit le doux et tendre Abel honorant le Très-Haut. C’étaient des processions entrecoupées de chants et de danses où les jeunes gens des deux sexes rivalisaient de parure et de beauté et déployaient une agilité extraordinaire[1]. De jeunes filles et des enfans, la tête ceinte de guirlandes

  1. Les Aztèques avaient une grande dextérité pour toutes sortes de tours d’adresse. On en amena à la cour de Castille, qui firent le ravissement des Espagnols.