Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1046

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ble la pensée et reste étrangère à la vie. Qui a conçu Dieu pour la première fois comme une intelligence, pure de tout mélange, source de l’ordre et de l’harmonie de l’univers ? C’est encore un philosophe, c’est Anaxagore, à qui Aristote, saisi d’admiration pour un de ses plus glorieux prédécesseurs, accorde ce magnifique éloge : « Quand un homme vint dire pour la première fois qu’il y avait, dans la nature comme dans les animaux, une intelligence qui est la cause de l’arrangement et de la beauté de la nature, cet homme parut seul avoir conservé sa raison au milieu des folies de ses devanciers[1]. » Ce dieu déjà si épuré est encore bien éloigné de l’homme. Il est l’architecte de l’univers physique ; il n’est point le législateur du monde moral. Socrate vient annoncer aux hommes le dieu de la conscience, le suprême et incorruptible arbitre de nos destinées, le juge et le père de tous les hommes. Élève de Socrate, héritier d’Anaxagore et de Parménide, interprète accompli de la sagesse de l’antiquité, Platon en recueille tous les trésors et les assemble dans ces immortels dialogues, véritables évangiles de la philosophie où toutes les grandes vérités morales et religieuses sont développées tour à tour dans des cadres merveilleux et enchaînées l’une à l’autre par leurs rapports les plus profonds, tantôt enlacées dans les nœuds d’une dialectique sévère, tantôt déployées dans la majesté d’une vaste et haute synthèse, voilées quelquefois sous les graces d’une allégorie ingénieuse ou sous les amples développemens d’un mythe épuré, revêtues enfin du plus beau langage qu’ait entendu l’oreille des hommes. Sans doute, ces grandes vérités sont engagées dans un système de philosophie destiné à périr : Aristote, après Platon, proposera un autre système ; mais toutes les vérités essentielles sont dans le monde, elles n’en sortiront plus. Qui a mieux connu qu’Aristote l’unité, la spiritualité, l’intelligence de Dieu, ce moteur immobile de sa philosophie dont l’essence sublime est tout entière dans ces deux mots : intelligible et désirable, νοητὸν ϰαὶ ὀρεϰτόν[2]. L’école stoïcienne a hérité de cette profonde métaphysique, et quelquefois sans doute elle l’a altérée ; mais qu’elle est grande dans l’ordre moral, l’école de Chrysippe et de Cléante, de Caton et de Brutus, d’Épictète et de Marc Aurèle ! N’eût-elle découvert que le principe de la fraternité du genre humain, cela suffirait à sa gloire. Or, c’est bien le stoïcisme, quelque silence discret que garde sur ce point M. l’archevêque de Paris, c’est le stoï-

  1. Aristote, Métaphys., I, 3.
  2. Aristote, Métaphys., XII, 8.