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Louise Labé se présente donc devant le public en tenant la main de cette demoiselle honorée dont elle se signe l’humble amie. Voilà sa condition vraie et si peu semblable à celle qu’on lui a faite à distance.

Qui a lu et qui sait par cœur la jolie fable de La Fontaine, la Folie et l’Amour, n’est pas dispensé pour cela de lire le dialogue de Louise Labé dont La Fontaine n’a fait que mettre en vers l’argument, en le couronnant d’une affabulation immortelle :

 Tout est mystère dans l’Amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance…

Le dialogue de Louise Labé, dans la forme ou dans le goût de ceux de Lucien, de la fable de Psyché par Apulée, de l’Éloge de la Folie d’Érasme et du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Periers, est un écrit plein de grace, de finesse, et qui agrée surtout par les détails. Je laisse à de plus érudits à rechercher à qui elle en doit l’idée originale, le sujet, à quelle source de moyen-âge probablement et de gaye science elle l’a puisé, car je ne saurais lui en attribuer l’invention ; mais elle s’est, à coup sûr, approprié le tout par le parfait développement et le tissu ingénieux des analyses. Dès l’abord, dans la dispute qui s’engage entre Amour et Folie au seuil de l’Olympe, chacun voulant arriver avant l’autre au festin des Dieux, Folie, insultée par Amour qu’elle a coudoyé, et après lui avoir arraché les yeux de colère, s’écrie éloquemment : « Tu as offensé la Royne des hommes, celle qui leur gouverne le cerveau, cœur et esprit ; à l’ombre de laquelle tous se retirent une fois en leur vie, et y demeurent les uns plus, les autres moins, selon leur mérite. » Les plaintes d’Amour et son recours à sa mère après le fatal accident, surtout le petit dialogue familier entre Cupidon et Jupiter, dans lequel l’enfant aveugle fait la leçon au roi des Dieux, sont semés de traits Justes et délicats, d’observations senties, qui décèlent un maître dans la science du cœur. Puis l’audience solennelle commence : Apollon a été choisi pour avocat du plaignant par Vénus, « encore que l’on ait, dit-elle, semé par le monde, que la maison d’Apollon[1] et la mienne ne s’accordoient guère bien. » Apollon accepte avec reconnaissance et tient à honneur de démentir ces méchans propos. Mercure, d’autre part, est nommé avocat d’office de Folie, et il fera son devoir en conscience, « bien que ce soit chose bien dure à Mercure, dit-il, de moyenner déplaisir à Vénus. » Le discours d’Apollon est un discours d’avocat, un peu long, élo-

  1. C’est-à-dire Diane et les Muses.