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celui des noms célèbres de femmes qui résume le mieux la grace elle-même. Mais nous ne parlons que de Louise. Son souvenir, agité et traduit en tous sens, était resté si présent, qu’en 1790 un des bataillons de la garde nationale de Lyon, celui du quartier qu’elle habita et de la rue Belle-Cordière, s’avisa d’arborer aussi son nom et son image sur son drapeau : on la transforma même alors, pour plus d’à-propos, en une héroïne de la liberté ; on lui mit la pique à la main, et l’on surmonta le tout du chapeau de Guillaume Tell, avec cette devise :

Tu prédis nos destins, Charly, belle Cordière,
Car pour briser nos fers tu volas la première.


L’épisode du siège de Perpignan était devenu ici une croisade pour la liberté. Voilà ce que Bayle aurait eu de la peine à prévoir ; c’est une exagération dans le sens héroïque, comme les doctes avaient eu la leur à son sujet dans le sens badin. Ainsi fait la tradition populaire, se jouant à son gré de ces figures lointaines comme le vent dans les nuages. Après tant de vicissitudes contraires et tous ces excès apaisés, il survit de Louise Labé un fonds de souvenir plus vrai, plus doux. Une muse tendre qui a vécu quelque temps sous le même ciel et qui en a respiré l’influence, Mme Valmore s’est rendue l’écho de cette tradition vaguement charmante sur elle dans les vers suivans qui sont dignes de toutes deux :

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L’Amour ! partout l’Amour se venge d’être esclave
Fièvre des jeunes cœurs, orage des beaux jours,
Qui consume la vie et la promet toujours ;
Indompté sous les nœuds qui lui servent d’entrave,
Oh ! l’invisible Amour circule dans les airs,
Dans les flots, dans les fleurs, dans les songes de l’ame,
Dans le jour qui languit, trop chargé de sa flamme,
 Et dans les nocturnes concerts !

Et tu chantas l’Amour ! ce fut ta destinée.
Femme ! et belle ! et naïve, et du monde étonnée !
De la foule qui passe évitant la faveur,
Inclinant sur ton fleuve un front tendre et rêveur,
Louise ! tu chantas. À peine de l’enfance
Ta jeunesse hâtive eut perdu les liens,
L’Amour te prit sans peur, sans débats, sans défense,
Il fit tes jours, tes nuits, tes tourmens et tes biens.

Et toujours, par ta chaîne au rivage attachée,