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les lecteurs des nouveaux Mémoires, le contrôle est piquant et sert à montrer ce qui s’était conservé de l’abbé dans l’évêque, du beau diseur des ruelles dans le harangueur sacré. Quelquefois, c’est un souvenir amer de la vie mondaine, de cette vie pourtant que Fléchier regarde encore comme une école nécessaire : « Il faut savoir le monde pour y vivre et pour n’y vivre pas ; mais bienheureux ceux qui prennent le dernier parti ! » Ce trait de la fin est la flèche dont le monde, comme le Parthe, l’avait frappé en fuyant. D’ailleurs, aucun enseignement morose, aucune sévérité affectée, ne gâtent ces indulgentes sentences mêlées d’insinuantes observations. Son goût de bel esprit pour la compagnie des femmes est resté le même qu’il était dans la jeunesse ; seulement le moraliste conseille d’éviter la société de celles qui ne sont pas revenues de la bagatelle. Ici, on le devine, c’est l’évêque, ce n’est plus l’abbé qui parle. Le goût de l’urbanité, le sentiment de la politesse, lui dictent surtout ses préceptes : « On va souvent voir une dame parce qu’il y a toujours compagnie chez elle ; que c’est un réduit de gens d’esprit et de qualité ; qu’on y parle toujours de bonnes choses ou au moins indifférentes ; que l’on se fait connaître, et que l’on se met sur un pied à se pouvoir passer de jeu et de comédie. » Voilà de grands avantages ; mais sommes-nous assez loin des rigides maximes de M. de Saint-Cyran, et Port-Royal tout entier n’eût-il pas frémi de ces relâchemens ? Heureusement Fléchier ne publiait pas plus ses Réflexions de prélat qu’il n’imprimait ses Mémoires de jeune homme : réserve habile, car la pruderie de Mme de Maintenon eût vite mis en disgrace l’évêque aimé de la cour. Il est vrai que Fléchier disait à un endroit : « Il y a aujourd’hui tant de dames distinguées par leur vie exemplaire qu’un peu de conversation avec elles fait plus d’effet qu’un sermon d’une heure. » Peut-être Mme de Maintenon se fût-elle adoucie à cette phrase qu’elle n’eût pas manqué de prendre pour elle et qui la mettait du coup au-dessus de Bossuet. L’esprit d’édification est vain quelquefois, et l’orgueil de l’humilité est le plus implacable de tous.