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vocabulaire de ce pays de Tendre dont Mlle de Scudéry lui avait prêté la carte.

Je l’ai dit, les lettres écrites à Mlle de Lavigne paraissent de plusieurs années postérieures à ces Mémoires récemment retrouvés, où la plume de Fléchier rencontre tant de graces affables et comme un mélange d’art coquet et de négligence naïve qu’elle n’a jamais retrouvé depuis. Dans ce progrès si prompt de la langue, dans ce rapide développement du style qui caractérisent l’ère glorieuse de Louis XIV, toute date a son importance significative. Chose curieuse ! les Mémoires sur les Grands-Jours de Clerrnont sont de 1665[1], de l’année même où parurent les Maximes. Combien le relief, combien l’effigie nette des petites médailles frappées par La Rochefoucauld, ne se détachent-ils pas à côté de ce gracieux pastel tracé par Fléchier d’un crayon si frais et si expressif ! L’art, sur les points les plus divers, touchait déjà à la perfection, mais sans l’avoir encore atteinte que dans le Cid et dans les Provinciales ; Molière préludait au Misanthrope ; Racine n’avait point encore donné Andromaque, on ne connaissait pas La Fontaine par ses Fables, et Despréaux ne s’était fait de renom que par les premières de ses Satires. Quant à Bossuet, il ne devait prononcer l’oraison funèbre de Henriette de France qu’en 1669, et Fléchier lui-même, je l’ai dit, celle de la duchesse de Montausier qu’en 1672. En un mot, on touchait à tous les chefs-d’œuvre, sans en presque posséder encore ; ce moment décisif fut comme la veille des armes du grand siècle. Jusque-là, le livre de Fléchier était possible : le lendemain, il n’eût plus été au pouvoir de personne, et surtout de Fléchier, de l’écrire. Ce livre marque donc à merveille le court intervalle où la prose française, déjà perfectionnée et éclaircie, retenait encore quelque chose et comme le parfum le plus exquis des fleurs bigarrées de François de Sales et des graces mignardes de Voiture. Il y a là des souvenirs heureux de cette phrase relevée et de condition, de ces airs libres qui furent propres à certains prosateurs de la période de Louis XIII ; il y a là aussi je ne sais quel pressentiment du beau naturel qui caractérise les écrivains de Louis XIV. Si le style quelquefois est négligé, si la pensée

  1. Du moins la meilleure partie. Fléchier a depuis retouché et intercalé divers passages, sans se soucier des contrastes de son langage, qui est tour à tour au passé et au présent. Ainsi, à un endroit, il dit d’un procès : Nous attendons l’issue (page 161), et ailleurs (page 201) il parle d’une chose qui ne peut avoir eu lieu que deux ans plus tard. On pourrait noter un grand nombre de ces contradictions chronologiques que l’éditeur n’a pas pris le soin de relever.