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et avec délices à l’hôtel d’Albret, que Mme Cornüel en sourit à la dérobée dans ses soirées du Marais, ou qu’enfin le vieux Retz en sollicita quelque furtive copie de Mme de Sévigné pour distraire les intervalles de sa goutte. Telle est l’approbation qu’obtint peut-être dans son temps ce séduisant ouvrage qui ne devait être rendu public que près de deux siècles plus tard.

Fléchier n’a eu aucune prétention en racontant, comme elles lui venaient, ces anecdotes entremêlées de souvenirs personnels, de descriptions ravissantes, et d’une certaine pointe de malice qui n’exclut pas la mélancolie. Les choses sérieuses ont là leur place à côté des fleurettes les plus gaies, les agréables dissipations à côté des solides aperçus. Pas de plan d’ailleurs, pas de compartimens factices. L’ouvrage n’est nullement composé ; tout s’y succède dans un gracieux désordre ; ce sont les hasards charmans d’une promenade sans but, les avenantes surprises de, la flânerie. Chez les habiles, le caprice est quelquefois un excellent maître des cérémonies : on s’oublie à errer sur les pas d’un cicérone si doucement dupeur. En réalité, Fléchier n’a pas d’autre projet que de raconter la Gazette des Tribunaux de Clermont ; mais c’est, contre l’habitude, une gazette très bien faite, où tout se succède avec d’heureux contrastes, et où les graces de la diction, le don de conter, l’enjouement de plume, donnent du prix aux moindres détails. Incessamment on passe de quelque épouvantable récit d’assassinat, de quelque horrible drame judiciaire, à un procès bien plaisant ou bien scandaleux : ainsi, après l’histoire d’un gentilhomme féroce qui se vengeait de ses justiciables en les laissant moisir durant plusieurs mois dans une armoire humide, on a l’anecdote égrillarde d’un chanoine aux genoux de sa chambrière ; ainsi, après ces scènes terribles de gentilshommes auvergnats qui avaient des duels par troupes armées et qui traitaient à la façon d’Abélard les pages dont ils étaient jaloux, arrive une plaidoirie grivoise sur quelque mari libertin ou un réquisitoire amusant contre des goguettes monacales.

L’audience d’ailleurs ne dure pas toujours, et l’intervalle des séances permet des excursions : c’est tour à tour un patient qu’on exécute ou une belle galante à qui il advient aventure ; c’est une troupe de comédiens qui arrive et qu’on va voir, ou bien un beau sermon qu’on prêche, devant messieurs de la cour. Ne redoutez pas l’uniformité. M, le président marie sa fille, et nous allons à la noce ; la compagnie va se promener, et, en l’accompagnant, nous rencontrerons des paysages auprès desquels pâlissent les plus suaves descriptions de l’Astrée. Comment s’ennuyer, quand, on entend de languissantes histoires de bergeries