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y avait un autre vainqueur de Marengo que le général Bonaparte, et que c’était le général Kellermann. On pourrait dire, avec bien plus de raison, qu’il y a un autre vainqueur de Hohenlinden que le général Moreau, et que c’est le général Richepanse ; car celui-ci, sur un ordre un peu vague, avait exécuté la plus belle manœuvre. Mais, quoique moins juste, cette assertion serait injuste encore. Laissons à chaque homme la propriété de ses œuvres, et n’imitons pas ces tristes efforts de l’envie, qui cherche partout un autre vainqueur que le vainqueur lui-même. » (T. II, p. 253, 254.) Voilà la justice et l’éloquence d’un grand historien.

En parlant des contemporains du premier consul, nous ne saurions oublier les portraits de Fouché et de M. de Talleyrand. Quand un portrait historique n’est qu’un prétentieux assemblage de rapprochemens plus forcés que naturels, d’antithèses plus brillantées que justes, nous en faisons peu de cas. Dans ce genre, des écrivains médiocres peuvent réussir, et à un examen superficiel produire quelque illusion. Au contraire, si, à travers un large récit, vous vous trouvez en face d’un portrait vigoureux et ressemblant, qui est comme la concentration bien éclairée de toutes les qualités qui constituent un des principaux personnages de l’action historique, alors le portrait n’est plus un accessoire capricieux, mais une pièce nécessaire d’un grand ensemble. À entendre quelques personnes, M. Thiers devait se faire l’apologiste de Fouché. Voici comment il le juge : « M. Fouché, ancien oratorien et ancien conventionnel, était un personnage intelligent et rusé, ni bon ni méchant, connaissant bien les hommes, surtout les mauvais, les méprisant sans distinction, employant l’argent de la police à nourrir les fauteurs de troubles autant qu’à les surveiller ; toujours prêt à donner du pain ou une place aux hommes fatigués d’agitations politiques, procurant ainsi des amis au gouvernement, s’en procurant surtout à lui-même, se créant mieux que des espions crédules ou trompeurs, mais des obligés qui ne manquaient jamais de l’instruire de ce qu’il avait intérêt à savoir ; ayant de ces obligés dans tous les partis, même parmi les royalistes qu’il savait ménager et contenir à propos, toujours averti à temps, n’exagérant jamais le danger ni à lui-même, ni à son maître, distinguant bien un imprudent d’un homme vraiment à craindre, sachant avertir l’un, poursuivre l’autre, faisant, en un mot, la police mieux qu’on ne l’a jamais faite, car elle consiste à désarmer les haines autant qu’à les réprimer ; ministre supérieur si son indulgence extrême avait eu un autre principe que l’indifférence la plus complète au bien et au mal, si son activité incessante avait eu