Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/1118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donne par ses récits ; il la donne par ses critiques. Comme le demande la grande autorité que nous venons de citer, il exprime son opinion sur les choses, et, dans l’appréciation des résultats, il fait la part du génie de l’homme et celle de la fortune. La masse des connaissances positives que le lecteur devra à l’historien ne recommande pas seule son livre, que rehausse encore un sentiment moral profond et pur. L’amour éclairé de l’ordre, de la grandeur raisonnable de la France, et des bienfaits de la paix, quand elle est honorable et digne, anime l’historien, et de son ame passera dans celle du lecteur. On sent que l’historien est fier de son pays, mais il ne le flatte pas, même quand il parle de ses plus éclatans triomphes.

Si, en cherchant à apprécier l'Histoire du Consulat et de l’Empire, notre pensée s’est, à deux ou trois reprises, reportée vers l’antiquité, ce n’est pas sans raison. Il y a dans ce livre un ton, une physionomie qui rappelle l’art antique. Ce n’est pas là une impression fugitive : à travers tout l’ouvrage, cette impression est durable. Après tout, si Bonaparte rappelle César, si l’empire rappelle en certains points le règne d’Auguste, pourquoi l’historien de Bonaparte et de l’empire n’aurait-il pas quelque chose des écrivains de l’antiquité ? Il en a la simplicité ; comme eux, il a la puissance et l’industrie de dire beaucoup dans (les compositions d’une étendue modérée. C’est le triomphe de l’art historique : c’est la manière des grands maîtres, c’est celle de Thucydide et de Tacite. Ainsi s’écrivent les livres qui durent. L’Histoire du Consulat et de l’Empire nous parait destinée à prendre une belle place dans la littérature nationale et à la garder.

Quand on compare ce dernier ouvrage avec l’Histoire de la Révolution française, quels progrès a faits l’écrivain ! Les premiers volumes consacrés à la constituante sont un commencement presque timide et à coup sûr incomplet d’un grand ouvrage : l’historien ne se révèle qu’au milieu des orages de la gironde ; enfin, quand il faut raconter les campagnes d’Italie, il entre tout-à-fait en possession de lui-même. Dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire, dès le début l’allure de l’écrivain est pleine de fermeté ; il aborde son sujet, il marche devant lui avec l’aisance facile d’un homme qui connaît le but où il tend et tous les chemins qui l’y doivent conduire. Pour le style, la transformation n’est pas moins complète. Quinze années d’action et d’étude ont fait de M. Thiers un grand écrivain.

Puisque nous avons rapproché ces deux histoires qui sont l’œuvre, l’une d’une jeunesse déjà puissante, l’autre d’une maturité vigoureuse, nous dirons, pour terminer, qu’en laissant de côté la question