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de la Grèce, les révolutions de Naples et du Piémont, les luttes de la France, la propagande, la puissance du commerce qui réclame la garantie des constitutions, rien ne peut l’émouvoir. Comment Foscolo, le poète grec, croirait-il au libéralisme des bourgeois et des marchands ? « Aujourd’hui, dit-il en 1826, que pourrais-je faire ? L’Europe est asservie par le commerce, et je ne puis avoir foi dans la diffusion des lumières, de la liberté, dans les progrès de l’intelligence, tant que je verrai les agriculteurs, les patriciens, les lettrés, les guerriers occupés de commerce, toutes les passions généreuses soumises aux calculs des spéculateurs, d’autant plus heureux qu’ils ruinent leur patrie et celle des autres. Les marchands, voilà les maîtres du siècle, et ils n’ont ni patrie, ni autel, ni honneur. Le papier-monnaie, voilà l’invention du siècle, et par là les marchands forgent plus de richesses en un jour que la terre n’en produit en plusieurs années ; ils secourent les princes, soudoient leurs armées, calment l’effervescence des révolutions, et forcent les peuples au travail pour qu’ils puissent payer la dette des rois. Arrachera-t-on à la nature plus qu’elle ne donne ? Non, l’illusion du commerce passera comme les autres, remplacée par d’autres illusions : en attendant, toutes les révolutions ne sont que des réminiscences, le cœur se refroidit, l’Europe raille les enthousiastes. Quant à l’Italie, c’est un cadavre. » Foscolo ne se lasse pas de répéter qu’après les vingt années de la révolution française, il a cessé d’espérer l’indépendance pour son pays, et peu s’en faut qu’il n’accuse de folie les révolutionnaires de Naples et du Piémont.

Foscolo s’efforçait en vain de s’isoler, de s’enfermer dans l’oubli. Trop fier pour se résigner à écrire avec la conviction de n’exercer aucune influence, il renonçait au travail des revues et cherchait à gagner sa vie en donnant des leçons de langue italienne ; mais sa fierté ne souffrait pas moins dans cette nouvelle carrière : il comprenait trop bien qu’il était pour le monde un objet de pitié, et ce sentiment l’accablait. Puis les préoccupations politiques se faisaient jour au milieu des souffrances morales et brisaient sans cesse la barrière que le poète s’était flatté de leur opposer. C’était l’Italie libérale qui venait le poursuivre jusque dans sa retraite de Londres ; c’étaient les whigs qui le protégeaient ou les tories qui le repoussaient. À cette époque, la Grèce était livrée à de graves agitations, et tandis que le ministère anglais voyait un suspect dans l’ami de Capo-d’Istria, les Hellènes accusaient l’exilé de Londres d’une coupable indifférence. Il avait voulu cacher sa vie, et la publicité, la calomnie même, s’en emparaient. La littérature impériale du royaume d’Italie, que Foscolo avait attaquée, s’était permis contre