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intérêts matériels ? Dans les questions de douanes, dans les questions de chemins de fer, est-ce le ministère qui a dirigé le pays ? Oui, malgré les fautes du cabinet, la France a prospéré depuis quatre ans sous l’œil des chambres, et par le concours d’une administration puissante ; mais une des premières garanties de cette prospérité est une situation forte et digne au dehors. Cette situation, l’avons-nous ? Le ministère l’affirme ; les chambres verront si les conséquences de sa politique peuvent s’accorder avec cette fière déclaration.

Après le triste effet de la séance d’ouverture, le ministère a éprouvé plusieurs échecs successifs que nous allons raconter. Nous entrerons dans quelques détails pour mieux faire apprécier la position du cabinet et les forces respectives des partis.

La première question qui s’est offerte a été celle de la présidence au palais Bourbon. M. Sauzet a été porté par le ministère contre M. Dupin, candidat de l’opposition conservatrice et du centre gauche. M. Sauzet a été élu ; mais, pour comprendre ce premier vote de la chambre, il est nécessaire d’examiner plusieurs circonstances qui l’ont accompagné.

D’abord, M. Sauzet n’a été élu qu’au second tour de scrutin, et si les diverses oppositions eussent agi de concert, M. Dupin eût été proclamé du premier coup. M. Sauzet a eu 164 voix, M. Dupin 95, M. Barrot 63. Neuf voix, ne voulant pas se porter sur le candidat ministériel, se sont perdues sur des noms isolés. Ainsi, dès cette première épreuve, le ministère s’est trouvé constitué par le fait en état de minorité.

Au second tour, M. Sauzet a obtenu 177 voix, dont quinze de majorité absolue. Le ministère a triomphé ; mais veut-on savoir à quel prix ? D’un côté, M. Sauzet a eu des voix légitimistes, qui ont écarté M. Dupin par crainte de ses opinions sur les jésuites. M. Sauzet a été trouvé moins janséniste et moins universitaire que M. Dupin ; nous ignorons s’il justifie l’opinion que l’on a de lui. D’un autre côté, des membres de l’extrême gauche, trouvant que le ministère actuel fait leurs affaires, et qu’il n’en serait pas de même d’un cabinet intermédiaire, ont préféré le candidat du ministère à celui de l’opposition modérée. D’autres enfin ont voté pour M. Sauzet, voyant en lui un président commode avec lequel on peut se passer ses fantaisies : témoin la discussion sur Belgrave-Square. Voilà en réalité les élémens dont se compose la majorité de M. Sauzet. Ce serait une assez triste majorité pour le ministère.

On sait du reste que le ministère s’est repenti d’avoir repoussé M. Dupin. L’honorable député ne déplaisait pas aux amis clairvoyans du cabinet. Il est vrai que les conservateurs dissidens avaient les premiers proclamé sa candidature ; mais, après eux, l’organe le plus dévoué du ministère avait pris cette candidature sous sa protection. Le ministère aurait dû suivre le conseil qui lui était donné, et voter pour M. Dupin en tout état de cause. Il aurait dissimulé par-là l’étendue de ses pertes ; il aurait enlevé à ses adver-