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domine. Il est vrai que, si les hostilités éclataient entre la France et l’Angleterre (et c’est l’unique cas à prévoir), celle-ci ne négligerait rien pour nous aliéner les populations voisines, puisqu’au milieu de la paix elle ne se fait pas faute de pareilles tentatives ; mais les intérêts des tribus rivales sont tellement mêlés, les Maures ont un si profond mépris pour les Nègres, et ceux-ci ont une haine si violente contre les Arabes, que la politique de l’administration trouvera toujours des alliés parmi des peuplades retenues, en outre sous la dépendance française par le besoin, l’appât des produits d’Europe et la facilité des échanges. Il est donc impossible de réduire Saint-Louis par la famine, et ce n’est pas l’un des moindres avantages que présente cet établissement sur ceux qui nous restent, et qui peuvent nous échapper au premier moment.

Quand le marin étudie la carte, il reste douloureusement affecté à la vue de l’isolement où se trouve toute flotte française loin de son pays qu’elle va défendre et venger au loin. Aucun point fortifié où cacher sa faiblesse à l’ennemi, nul arsenal pour réparer les vaisseaux démolis à la suite d’un combat. Les bons ports coloniaux que possédait autrefois la France lui ont été enlevés ; l’Angleterre a dédaigné nos quatre îles dont une seule, la Martinique, offre une rade susceptible d’une défense que la famine rendait bientôt inutile. On ne peut donc rester indifférent à la prospérité d’un territoire qui, comme le Sénégal, unit aux ressources d’une riche colonie les avantages d’une forte position militaire. N’oublions pas que les succès d’une guerre maritime dépendent non-seulement de la quantité de navires, mais surtout de la proximité de nombreux asiles où les bâtimens délabrés vont chercher de prompts secours sur les lieux même du combat. La nier appartient à celui qui reparaît le plus tôt prêt à combattre. Sortir, présenter le travers à l’ennemi, rentrer, changer à la hâte ses mâts cassés, ses voiles en lambeaux, appareiller le lendemain, vaincre ou être vaincu, mais revenir encore et toujours, tant que la noble carcasse peut flotter ; interrompre les relations commerciales, tenir en éveil les côtes, attaquer sans cesse, fuir, mais comme l’Horace romain, voilà comment un peuple devient maître de ces flots mobiles qui ne se laissent dompter que par l’éternel entêtement d’une lutte acharnée et savante. De tels travaux sont impossibles sans ports de refuge pour les vaisseaux ; et où sont ceux de la France ? Que deux escadres française et anglaise se rencontrent dans le fond de la Méditerranée, sur la côte de Syrie, par exemple, qu’elles soient égales en force, en courage, en génie, elles se sépareront mutilées, sans résultat positif, et chacune cherchera un mouillage pour réparer ses avaries. La flotte anglaise gagnera Malte, Zante, Corfou, la flotte française se traînera jusqu’à Toulon. Dans les circonstances ordinaires de la navigation, il faut un mois de traversée d’Alexandrie aux côtes de Provence ; il y a donc mille chances pour que cette escadre soit attaquée sur la route par ceux des navires étrangers qui, ayant le moins souffert dans le combat, n’auront eu besoin que de rechanges insignifians