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la fin de la journée, dit la légende[1] dont Weber a fait le romantique chef-d’œuvre que vous savez, le chasseur Max, pâle et glacé d’épouvante, s’enfonçait dans les gorges du Schwarzholz. De tous côtés s’élevaient des montagnes arides et chenues, et d’un pan de rocher inaccessible jaillissait pour rouler à d’immenses profondeurs la nappe écumante d’un torrent accru par les récens orages. Sur les arbres s’agitaient et battaient des ailes le hibou, l’orfraie, et des nuées d’oiseaux funèbres dont une chaleur étouffante et les grondemens d’un tonnerre lointain avivaient la chanson maudite. Insensiblement la lune s’obscurcit, et la vallée entière s’enveloppa d’ombres ténébreuses. Caspar se tenait au milieu du Wolfsschlucht, debout, ayant autour de lui un cercle d’ossemens humains et de crânes desséchés que de fantastiques feux follets éclairaient d’une lueur tremblante ; à son côté gisaient à terre le réchaud, la cuiller et le moule à balle. Il traça le signe sacramentel et s’écria d’une voix rugissante : « Samiel ! Samiel ! parais ! par le crâne vide du sorcier, Samiel ! Samiel ! parais ! » À ces mots, le rocher s’écarta, et par la fente sortit le chasseur franc vêtu d’un justaucorps d’écarlate. Son attitude commandait l’étonnement et la terreur. « Que veux-tu de moi ? » dit-il. Caspar, prosterné à ses pieds et comme frappé de la foudre, n’osait risquer un mouvement. « Mon heure est arrivée, murmura-t-il d’une voix creuse, et ton serviteur retombe en tes mains ; mais ô puissant dominateur des esprits ténébreux, si les prières d’un mortel pouvaient t’émouvoir, daigne m’accorder un nouveau répit ?

  1. Je donne ici, sans rien changer au style original, le chapitre ayant rapport aux enchantemens du Wolfsschlucht. Du reste, toute l’essence poétique de ce naïf et curieux morceau a passé dans l’œuvre dramatique d’Apel, qui n’en est que la paraphrase. Chaque chapitre vous remet une scène en mémoire, et il suffirait d’énoncer les divers titres pour rappeler la plupart des motifs de la partition, tant Weber a fait là une œuvre populaire. J’ai dans les mains la légende primitive du Freyschütz, imprimée à Erfurth sur ce papier à sucre, dont Goethe et Schiller ont partagé si long temps en Allemagne le privilège avec les Quatre fils Aymon et le Chat Botté, et j’extrais au hasard quelques-uns de ces curieux sommaires Comment un archer du nom de Cuno tua un cerf et devint maître forestier. — Comment le prince eut un entretien des plus graves avec son forestier héréditaire au sujet des balles enchantées et de certains maléfices. — D’un jeune compagnon chasseur appelé Max. — Comment Max conta les peines de son ame à la fille du maître forestier. — D’un entretien qui eut lieu entre Max et Caspar. — Comment Max devint un Freyschütz.- Du Wolfsschlucht et de la fonte des balles, et ainsi de suite jusqu’au dénouement, où l’ermite figure et vient, comme dans l’opéra, chanter l’hymne de paix.