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en sommes fiers. Dans le pays des chênes et des tilleuls, il n’y aura jamais de Brutus.

« Nous avons trente-six maîtres (ce n’est pas trop !) ; chacun d’eux, pour défense, porte une étoile sur son cœur, et n’a rien à redouter des ides de mars.

« Nous les appelons nos pères, et patrie la terre qui leur appartient par droit d’hérédité. Nous aimons aussi la choucroute et les andouilles.

« Quand notre père se promène, nous lui tirons dévotement notre chapeau. Non, l’Allemagne, ce pieux foyer domestique, n’est pas une caverne de bandits romains. »


M. Heine aura souvent recours à ce persiflage ; ce sera sa polémique favorite de mettre en relief l’imbécillité débonnaire de son peuple, et surtout sa vie prosaïque et joviale. Vous retrouverez cette cruelle tactique dans maintes petites pièces aiguisées comme un stylet. Toutes les fois qu’il entendra ce bon peuple parler complaisamment de sa vivace énergie et se confier dans l’avenir, il lui prouvera clairement qu’il a trop bien dîné, et ces héroïques Teutons seront toujours ramenés, faut-il le dire ? à des questions de cuisine.

Mais tout cela n’est rien encore ; nous n’en sommes qu’à la préface, à l’introduction. Toutes ces petites pièces, ballades, romances, épigrammes, ne sont que l’ouverture fringante de l’opéra buffa que prépare le hardi maestro. Il est temps d’en venir à l’œuvre véritable, à l’objet important du nouveau livre de M. Heine. Ce ne seront plus seulement des caprices, mais un poème complet, un poème en vingt-sept chants, où l’auteur se donne pleine carrière et se livre à toute la verve de son humeur satirique. Il semble que M. Heine ait eu peur lui-même de son audace ; c’est peut-être pour dérouter la censure qu’il a ainsi dissimulé son œuvre, qu’il l’a cachée derrière ces feuilles légères et bigarrées. Les mélodieuses chansons du commencement, le carnaval où passent et repassent les masques de Clarisse ou d’Emma, quelques brillantes ballades éparses çà et là, les vers dont je viens de parler, tout cela vraiment composerait un assemblage trop mêlé, si le poète n’avait voulu faire passer dans la foule son spirituel et audacieux manifeste. Le livre de M. Heine a échappé aux longues dents de la censure ; le voici, ouvrons-le, et donnons à l’œuvre du brillant humoriste toute l’attention dont elle est digne. L’auteur a embrassé d’un seul coup un vaste sujet : son poème s’appelle l’Allemagne.

C’est un voyage. Après une absence de treize ans, le poète retourne dans sa patrie. Je traduis d’abord les premiers vers :