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« Je vous remercie de la confiance dont vous m’honorez et que vous m’avez conservée fidèlement dans toutes les épreuves difficiles.

« Frères loups, ne doutez pas de moi ; ne vous laissez pas prendre aux discours de ceux qui prétendent que je suis passé du côté des chiens ;

« Que je suis un apostat, et que bientôt je serai conseiller aulique à la cour des moutons. Réfuter de tels bruits était au-dessous de ma dignité.

« La peau de mouton dans laquelle je m’enveloppe quelquefois pour me réchauffer ne m’a jamais porté, croyez-moi, à rêvasser pour le bonheur des moutons.

« Je ne suis ni mouton, ni chien, ni conseiller aulique, ni aigrefin ; je suis loup. Mon cœur est un cœur de loup ; mes dents, des dents de loup.

« Je suis loup et toujours je hurlerai avec les loups. Adieu, comptez sur moi, et aidez-vous vous-mêmes afin que Dieu vous aide ! »

« Voilà le discours que je leur adressai sans la moindre préparation. M. Kolb l’a inséré, mais en le défigurant, dans la Gazette d’Augsbourg. »


C’est de cette manière railleuse que le poète répond à ceux qui doutent de lui. Railleuse ou non, la réponse a son importance. Décidément, le voilà enrôlé dans l’armée des loups. Il pourra bien ne pas être toujours un soldat très discipliné, il fera la guerre selon son caprice, il aura une façon particulière de hurler, mais enfin ses compagnons sont prévenus, et il faudra lui pardonner.

La précaution n’était pas inutile, car, dès le chapitre suivant, l’auteur va revenir à sa polémique habituelle, et choisir pour texte de ses spirituelles railleries les souvenirs historiques les plus chers à la nation allemande. C’était d’abord la cathédrale de Cologne, tout à l’heure c’était la forêt de Teutobourg, ce sera maintenant le grand empereur de la maison de Souabe, Frédéric Barberousse. M. Heine commence d’une manière très respectueuse ; il a retrouvé les plus doux accens de cette poésie naïve qui est souvent si gracieuse sous sa plume. Tandis que les chevaux l’emmènent à travers les plaines brumeuses, tandis que le postillon sonne du cor, les refrains des chansons de son enfance s’éveillent et chantent au fond de son cœur. Il songe à sa bonne vieille nourrice, qui savait toutes les légendes du temps passé et qui les contait si bien. Il y avait une fois une fille de roi assise toute seule sur la bruyère ; ses longs cheveux brillaient comme l’or ; hélas ! elle était captive. On l’avait réduite aux travaux de la basse-cour ; la belle princesse aux cheveux d’or gardait les dindons ! Ou bien c’était l’histoire de Barberousse, qu’elle racontait si gravement, si pieusement. Barberousse n’est pas mort ; il habite en Thuringe, dans une caverne du mont Kiffhaeuser. Là est son écurie avec ses chevaux sans nombre, sa grande salle avec tous ses chevaliers, son arsenal avec les armes