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met en jeu, et voilà soudain la cloche qui s’anime et résonne sans qu’on l’ait touchée. Ainsi, en bien des choses, il ne s’agit que de frapper le ton. L’ame humaine, elle aussi, est une cloche sonore ou fêlée ; donnez la note, et tout ce qu’elle a de musique en elle sortira.

Cependant la chaleur était devenue étouffante, et, lorsque nous touchâmes au Kuhstall, l’orage se faisait pressentir. Contempler de ces hauteurs un orage avec toute sa magnifique mise en scène d’ouragans impétueux, de roulemens de tonnerre et de torrens débordés, il y avait assurément là de quoi tenter notre imagination. Par malheur ou plutôt par bonheur, car, notre première curiosité satisfaite, nous eussions bien pu payer cher la poésie du spectacle, par bonheur, dis-je, le ciel s’en tint à des menaces, et la nuée électrique passa sur nos têtes sans crever. Le Kuhstall (étable à vaches) ne répond que d’une manière fort indirecte à la désignation spéciale que son nom semblerait indiquer ; cette étable à vaches servirait tout aussi bien de salle de concert à l’orchestre de M. Habeneck, et, si je ne me trompe, les esprits aériens évoqués par une ouverture de Beethoven ou de Weber s’y logeraient plus commodément qu’un troupeau de bêtes à cornes. Figurez-vous une salle ronde, voûtée et sonore, où la lumière pénètre, à peu près comme dans le Wolfsschlucht, par une crevasse ouverte dans le roc, avec cette différence qu’ici l’ouverture est plus large et plus praticable. D’en haut, le regard ne s’étend pas au-delà d’un horizon des plus bornés et ne plane que sur des cimes noires et chenues, des précipices à vous donner le vertige, et des pans de rochers gigantesques, imitant pour la plupart la forme humaine. Tout en explorant les avenues du Kuhstall, je m’étais égaré dans le labyrinthe de Caroline, d’où jamais je n’aurais pu me tirer sans la voix de mon compagnon de voyage, qui m’appelait pour me montrer le Schneiderloch, cavité assez profonde, rendue célèbre dans le pays par la couardise de je ne sais plus quel rognolet germain qui s’y cacha pour échapper au dangereux métier des armes, toujours pendant la guerre de trente ans. Après avoir franchi la Gorge de l’autour (der Habicthsgrund) et marché quelques instans à travers un bois assez touffu de sapins et de hêtres, nous parvînmes enfin au Winterberg, point culminant du groupe où nous étions.

Rien de plus grandiose et de plus varié que le panorama qu’on découvre du pavillon de l’auberge qui couronne ce pic ; d’ici au moins, le regard se développe en toute liberté : les montagnes de la Bohême, qui se sont rapprochées durant votre course, vous apparaissent, celles-ci se découpant sur le bleu du ciel, celles-là mollement baignées d’un voile humide de vapeurs, tandis que vous apercevez au loin comme une nappe