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de parvenir aux vérités naturelles de l’ordre moral aussi bien qu’aux vérités de l’ordre physique[1]. Comme il y a une géométrie, une physique, une astronomie, etc., de même et au même titre il y a ou il peut y avoir une psychologie, une logique, une morale, une théodicée, c’est-à-dire d’un seul mot une philosophie. Les sciences physiques s’appuient sur l’expérience sensible ; la philosophie s’appuie sur les sens à la fois et sur la conscience : les données et par conséquent les procédés diffèrens ; mais les données sont également solides, les procédés également rigoureux, et le principe commun que les sciences physiques et la philosophie reconnaissent est la raison naturelle librement et régulièrement cultivée. Aux yeux du jansénisme, toutes les sciences humaines, et particulièrement les sciences morales, la philosophie à leur tête, ne sont que des chimères, filles de l’impuissance et de l’orgueil ; la seule science véritable est celle du salut, dont l’impérieuse condition est l’intervention surnaturelle de la grace, de la grace à la fois gratuite et irrésistible. Le jansénisme va jusque-là, ou il n’a pas toute sa portée ; il ne peut donc accepter la philosophie que par une inconséquence manifeste.

Et d’où peut venir l’inconséquence ? De la faiblesse soit du caractère, soit de la logique. Mais la logique de Pascal était à la hauteur de son caractère passionné et obstiné. Il faut choisir entre le jansénisme et la philosophie. Pascal avait choisi, et d’un choix trop ferme pour s’écarter jamais du but marqué et chanceler sur la route.

Pascal, nous l’avons vu, est sceptique déclaré en philosophie ; maintenant il est évident qu’il ne pouvait pas ne pas l’être. Examinez de nouveau, à la lumière de la théorie janséniste qui vient d’être exposée, les endroits du livre des Pensées où le scepticisme se montre sous sa forme, ce semble, la plus hardie, et, loin d’y trouver des paradoxes, vous y reconnaîtrez les principes avoués et l’esprit de Port-Royal. Pascal dit et répète qu’il n’y a nulle certitude naturelle. Qu’y a-t-il là d’étonnant, je vous prie ? C’est le contraire qui serait à Pascal la nouveauté la plus insoutenable. Car qui lui pourrait donner la certitude ? Une raison toute corrompue et qui, sans la grace, est radicalement impuissante. Il n’y a nulle preuve naturelle de l’existence de Dieu : Dieu ne se révèle à nous ni par les merveilles de la nature ni par les merveilles de la conscience. Rien de plus simple, si depuis la chute d’Adam les sens et la conscience sont des miroirs infidèles. Avant Jésus-Christ, l’homme ne pouvait savoir où il en était. Assurément,

  1. Voyez notre premier article, 15 décembre 1844, p. 1014.