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que l’indemnité consentie en faveur de M. Pritchard se rattache aux mauvais traitemens qu’il a subis, tandis qu’au contraire M. Dumon, rattachant le fait de l’indemnité à l’expulsion, déclarait que le gouvernement français s’était réservé le droit de refuser toute indemnité dans le cas où l’expulsion serait motivée. Les ministres, en sortant de la chambre, annonçaient qu’ils avaient réservé leurs principaux argumens pour la tribune ; mais on y croyait peu, et le parti ministériel, malgré sa victoire, était déconcerté.

Un fait grave a signalé la discussion de l’adresse dans les bureaux. M. Saint-Marc Girardin, dans un langage ferme et digne, a expliqué les dissentimens qui le séparent sur certains points du ministère. Il a donné un noble exemple de franchise et de loyauté politique. Un autre conservateur, M. Mortimer Ternaux, a prononcé quelques paroles dans le même sens. De pareils faits sont significatifs. Quand un esprit éminent comme celui de M. Saint-Marc Girardin répudie la politique ministérielle, quand un dévouement aussi sûr, aussi éclairé que le sien ne veut pas accepter la solidarité de cette politique, il y a lieu de faire des réflexions sérieuses dans les hautes régions du gouvernement.

Effrayé par tous ces symptômes qui sont venus l’assaillir depuis le commencement de la session, le ministère, avant de tenter l’épreuve de la tribune, s’est jeté dans les moyens extrêmes pour conjurer l’orage. Il a invoqué publiquement l’appui de la couronne. Des paroles augustes ont été révélées par la voie de la presse. On a fait entendre nettement que la royauté voulait le maintien du cabinet, et que toute opposition était blâmée par elle. D’honorables pairs, d’honorables députés, soupçonnés d’avoir peu de penchant pour la politique ministérielle, ont été placés sous le coup d’une censure publique. On a attaqué l’indépendance parlementaire. Singulier retour des choses de ce monde ! Il y a six ans, M. Guizot, soutenu par les partis extrêmes, faisait tomber le 15 avril sous l’accusation injuste de ne pas couvrir la royauté ; aujourd’hui, c’est M. Guizot qui supplie la royauté de couvrir le ministère dont il dirige, dont il défend la politique. Qu’arriverait-il, cependant, si l’on suivait le ministère sur ce terrain dangereux, inconstitutionnel, où il provoque la polémique des partis ; si l’on cherchait à démontrer la fausseté des bruits qui ont couru ; si, à des paroles imprudemment divulguées, on opposait d’autres paroles d’un sens bien différent, et de nature à faire trembler le cabinet ; si enfin on révélait certaines opinions, certaines craintes, qui se sont manifestées récemment autour du trône, et qui ont dû exercer sur les méditations royales une sérieuse influence ? Assurément, l’on serait en droit de publier là-dessus ce que l’on sait. La presse ministérielle a donné l’exemple ; mais il vaut mieux garder le silence. Il faut laisser au ministère le privilège de faire intervenir à son gré le nom du roi dans la discussion. Nous croyons, du reste, que ces moyens désespérés ont peu de succès ; ils font à ceux qui les emploient plus de mal que de bien. Beaucoup de gens seront tentés de voir dans les paroles royales que l’on a publiées un témoignage