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des illusions et des chimères bonnes à repaître des imaginations malades, et qui ne peuvent séduire un instant un esprit raisonnable et un peu versé dans l’histoire du genre humain.

Nous sommes persuadés d’avance que M. Michelet repousse également ces deux systèmes, et qu’il est au fond aussi éloigné de vouloir confier le ministère spirituel des sociétés modernes à une religion nouvelle, que de l’abandonner à la religion naturelle, ce qui revient, comme on l’a vu, à le supprimer. L’illusion de ceux qui espèrent une religion nouvelle est encore respectable, car enfin ils veulent un ministère spirituel : seulement ils n’en savent pas les conditions ; mais ceux qui parlent de la religion de la nature et qui s’entendent eux-mêmes ne veulent pas de religion du tout. Ce sont là ces incorrigibles athées dont la race est loin d’être éteinte, et qui sont convaincus que toute religion est parfaitement inutile, et que, puisqu’ils s’en passent, leurs semblables peuvent bien aussi s’en passer.

Quelle que soit pourtant notre répugnance à ranger M. Michelet dans l’une quelconque de ces deux catégories, nous ne cacherons pas que certains passages de son livre nous ont causé une vive inquiétude. Ce n’est sans doute qu’un défaut de son style, où la solennité des formes, une sorte d’obscurité mystérieuse qui ne parait pas déplaire à l’auteur, un certain air d’inspiration étranger à la gravité de l’histoire, à la précision sévère de la science, dénoteraient quelquefois un certain penchant vers un nouveau dogmatisme religieux. M. Michelet parle souvent de la religion de l’avenir, du prêtre de l’avenir. Y aurait-il là-dessous quelque mystère que des déclarations plus précises éclairciront ? Nous en doutons. Nous nous souvenons que M. Michelet écrivait, il y a quelques années :

« J’ai baisé de bon cœur la croix de bois qui s’élève au milieu du Colysée… Aujourd’hui encore, cette croix n’est-elle pas l’unique asile de l’ame religieuse ? L’autel a perdu ses honneurs… Mais, je vous en prie, oh ! dites le-moi, si vous le savez, s’est-il élevé un autre autel ? »

Nous aimons à croire que M. Michelet est aussi embarrassé aujourd’hui qu’il y a quinze ans de découvrir une religion nouvelle. Que penser toutefois de ce passage de son nouveau livre :

« Homme, tu cherches Dieu du ciel à l’abîme ;… mais il est à ton foyer… L’homme, la femme et l’enfant, l’unité des trois personnes, leur médiation mutuelle, voilà le mystère des mystères. »

Ce ton solennel, ce langage mystique, ces mots sacramentels de