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et dans ses résultats qu’elle ne le fut et qu’elle ne pouvait l’être au XVIIe siècle, non moins sincère, non moins hardie qu’au XVIIIe siècle, mais plus impartiale, plus juste, et par conséquent plus forte, absolvant, comprenant et le cartésianisme et le voltairianisme, mais aspirant à les dépasser l’un et l’autre et à prendre un caractère qui soit le sien.

On s’effraie plus qu’il ne faudrait des attaques du clergé ; c’est qu’on ne connaît bien ni sa force, ni sa faiblesse. Sa force est dans le sentiment religieux qui lui communique une puissance durable et lui donne dans le peuple une assiette solide ; sa faiblesse est dans la vanité de ses entreprises contre l’ordre scientifique et contre l’ordre politique. Il y a dans le monde deux puissances d’une constitution assez vigoureuse pour résister à un injuste empiètement, la science et l’état. Que l’état soit respectueux, mais ferme ; que la science soit libre, mais impartiale, le sacerdoce se résignera. On accuse l’état d’être faible, le sacerdoce d’être violent. Si tout le monde oublie ses devoirs, est-ce à nous d’oublier que la philosophie en prescrit à ses interprètes ? En vérité, il ne manquerait plus à notre temps que de montrer au monde, avec un gouvernement faible et un clergé téméraire, une philosophie partiale, injuste, passionnée, destructive. Espérons, à l’honneur de notre génération, qu’il n’en sera pas ainsi. Pour nous philosophes, rappelons au clergé nos droits, à l’état ses devoirs, mais sachons aussi remplir les nôtres. N’imputons pas à crime à nos amis, surtout quand ils sont sincères, éloquens, provoqués par de cruelles injures, d’exercer de légitimes représailles ; mais ne les imitons pas. Ce serait trop faire, en vérité, pour le clergé que de lui sacrifier notre modération et notre sagesse.


ÉMILE SAISSET.