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de ces empires : depuis un demi-siècle, les patriotes n’y connaissent qu’un ennemi, et les absolutistes n’y ont qu’un allié, la centralisation. Plus la cour s’obstine à absorber, plus les provinces s’efforcent de retenir le pouvoir et de reconquérir leurs droits. Toutes les guerres insurrectionnelles de cette partie de l’Europe n’ont qu’un but : relever les petits et les faibles vis-à-vis des puissans, réagir en faveur des indigènes contre les étrangers, et effacer jusqu’aux traces de conquêtes séculaires qu’on avait pu croire consommées. En un mot, la révolution qui s’accomplit dans l’Europe orientale diffère de celle qui agite encore l’Occident en ce qu’elle est et restera un mouvement décentralisateur.

Ces tendances n’ont évidemment rien de favorable au développement de l’autocratie ; de là vient que le cabinet russe les combat avec acharnement. Les municipalités, base de l’existence des nations orientales, sont surtout l’objet de la haine du tsar, qui ne se lasse pas de les poursuivre, au nom de l’ordre public, dans tout son empire, et jusqu’en Turquie et en Grèce, opposant partout où il le peut à cet élément qu’il nomme démagogique le monopole nobiliaire. En faut-il davantage pour montrer combien le cabinet russe exerce parmi les Gréco-Slaves une action funeste ? Voulût-il même se montrer généreux, nous sommes convaincu qu’il ne le pourrait pas ; car, sous peine de déchoir et de cesser d’être impérial, il doit se maintenir centralisateur, il doit garder la tradition romaine, monarchique et militaire, au milieu de peuples grecs par leurs institutions, démocrates par leurs instincts, et qui sont essentiellement pacifiques. Ainsi la législation primitive des Gréco-Slaves se trouve, par un invincible intérêt d’état, faussée et paralysée en Russie. Sans doute la société russe proprement dite est encore et restera slave ; mais tant que cette société n’arrivera pas à dominer tout-à-fait son gouvernement, les autres Slaves ne peuvent espérer d’elle qu’un dangereux appui. Exclusivement protégés par le tsar, les Gréco-Slaves finiraient par perdre leur nature propre, et toutes les qualités qui doivent le plus exciter en leur faveur les sympathies de l’Europe.

C’est donc à tort que tant de publicistes occidentaux voudraient confondre la question russe avec la question slave. Sans doute le monde gréco-slave forme une grande unité, et dans ce monde nouveau tous les esprits généreux, tous les hommes vraiment libéraux, à quelque parti qu’ils appartiennent, s’entendent et s’unissent pour glorifier la race dont ils sont les enfans ; mais ce n’est point par l’idolâtrie