Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 9.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

style teutonique par excellence ! Sans doute il s’est acclimaté et naturalisé en Germanie, sans doute il y a produit de grandes et belles œuvres ; mais qu’il y soit né, jamais observateur de bonne foi ne pourra le soutenir. Les preuves du contraire sont palpables. Il y a dans la seule Picardie et dans l’Ile-de-France, cette partie de notre sol où l’ogive semble avoir fait sa première apparition, quinze ou vingt monumens du premier ordre dont l’histoire repose sur des titres authentiques, et qui sont indubitablement de trente à quarante ans plus anciens que les monumens similaires en Allemagne. À moins donc de mettre de côté tout ce que les témoignages les plus irrécusables nous apprennent au sujet d’églises, telles que Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Senlis, Saint-Yved de Braisne, la cathédrale de Soissons, à moins de ne tenir aucun compte de faits aussi bien établis que l’époque où furent construits nos grands édifices du XIIIe siècle, la cathédrale de Reims, par exemple, celle de Bourges, celle d’Amiens, celle de Beauvais, je ne saurais, quelle que soit mon estime et ma déférence pour des hommes dont l’esprit et la science sont si justement honorés en Allemagne, leur accorder que cette antiquité, qu’on attribue chez nous à certains monumens à ogive, doive nécessairement être une fable grossière, par cela seul qu’au-delà du Rhin l’impossibilité d’un tel fait serait évidente et hors de tout débat. Pour faire une semblable concession, il faudrait avoir oublié qu’en l’an 1248 nous consacrions à Paris la Sainte-Chapelle du Palais, ce type accompli du style à ogive, lorsque sur les bords du Rhin, dans cette même année, on se disposait seulement à poser la première pierre du dôme de Cologne.

Mais si nous n’adoptons pas dans toutes ses conséquences le scepticisme des savans allemands, nous nous garderons bien, d’un autre côté, d’accepter sans contrôle les brevets d’ancienneté si libéralement accordés parmi nous, non-seulement à quelques monumens de transition, mais même à des constructions à ogive du style le plus pur, le plus fin, le plus élancé, tel que la cathédrale de Coutances, par exemple, ce modèle exquis de l’art de bâtir au XIIIe siècle, dont on veut faire remonter la fondation à l’an 1030 et l’achèvement à l’an 1083.

De tous les paradoxes qu’a suggérés l’archéologie du moyen-âge, c’est assurément là le plus hardi. Soutenue d’abord avec chaleur et conviction par le savant M. de Gerville, mais accueillie presque aussitôt par d’inflexibles objections et par une incrédulité à peu près générale, cette opinion semblait abandonnée, lorsque, il y a peu d’années, un nouveau champion, M. l’abbé Delamare, vicaire-général de Coutances,