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passions au théâtre depuis Corneille. Ce sont les premières de ces leçons qui, recueillies l’année dernière, ont formé ce volume du Cours de littérature dramatique, si bien reçu du public. L’ouvrage devant avoir plusieurs tomes, on ne saurait encore porter un jugement sur le cadre que s’est tracé M. Girardin ; mais on peut apprécier le coin du tableau qu’il nous a montré. C’était une idée heureuse et parfaitement appropriée au procédé de moraliste citer à M. Saint-Marc, que d’aborder l’histoire littéraire, non plus par siècles, non plus par groupes ou par individus, mais par les passions même du cœur humain. Le critique prend un de nos sentimens comme l’amour paternel ; il choisit une des situations que la nature nous impose, comme la lutte contre la douleur physique : puis, ce sentiment une fois isolé, cette situation une fois mise à part, il en suit la trace dans l’art, il s’ingénie en adroites comparaisons, il cherche comment on a représenté ces choses autrefois, comment on les représente aujourd’hui, et si le présent n’a pas à tirer profit de ces modèles du passé. Ce qu’il y a dans ces intéressans parallèles de vues, d’esprit, de bon style, de pages charmantes, on le devine : naturellement M. Girardin a mis là ses qualités.

Quoique M. Hugo n’en ait pas touché un seul mot dans sa réponse de l’autre jour, le Cours de Littérature dramatique nous ramène à l’Académie, puisqu’il a été l’occasion de la candidature de M. Saint-Marc au fauteuil. Mais qu’on me laisse, avant de terminer, produire deux ou trois réserves essentielles que je tiens à marquer, et qui pèsent à ma conscience de critique. Commençons par un grand mot auquel ses voyages d’Allemagne ont dû habituer M. Girardin : son esthétique ne me paraît pas assez ouverte, assez compréhensive ; elle croit trop aux littératures convenues, aux arts poétiques. Pour nous, nous voulons bien des chartes littéraires, mais il faut qu’elles aient toujours leur article 14 ; les hommes de génie ont les privilèges des despotes. Qu’arrive-t-il quand on admet ainsi des barrières dans l’art ? C’est que la Muse quitte les sommets de l’idéal et de l’enthousiasme pour descendre à mi-côte, sur les terrains moyens. A force de couloir des poètes raisonnables, on risque tout simplement de les transformer en prosateurs. Ce ne sont point des poètes tels que les feraient les préceptes de M. Girardin que Platon eût chassés de sa république ; il les eût mis aux affaires. Une autre remarque que je veux noter encore, c’est comment, en partant toujours de la donnée morale et non de la donnée littéraire, M. Saint-Marc Girardin se trouve mettre sa critique en laisse. De la sorte, tout ce qui ne rentre point dans ses