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elle représentait bien plutôt Andromède ; elle était nue. » - Walpole n’en dit pas davantage.

Les suites de ce bal par souscription sont des plus piquantes. Selwyn, qui s’en amuse beaucoup, fait ressortir cet extraordinaire mélange de pruderie, d’audace et d’originalité, étranger à la France de Louis XV et de Mme de Pompadour. La princesse de Galles, Allemande et sentimentale, trouvant le déshabillé d’Iphigénie trop succinct, détacha le long voile de malines dont elle était parée, et se dirigeant vers miss Chudleigh, le jeta, en présence de tous, sur les belles épaules de la victime. La princesse passait pour accorder au grave et solennel lord Bute une préférence secrète. Miss Chudleigh ne se déconcerta pas, mais arrangeant le voile dont les plis tombaient autour d’elle, et saluant profondément la princesse : — « Votre altesse royale, lui dit-elle, sait bien que tout le monde a son but. » - Le mot était insolent, cynique et singulier. Quant au roi, qui avait complaisamment tenu les tasses de ses jeunes sujets, et qui avait alors soixante-sept ans sonnés, il vit les choses d’un œil plus indulgent. « Au bal suivant, dit Selwyn avec sa négligente malice, notre monarque eut pour agréable de se croire amoureux d’Iphigénie ; à telles enseignes, qu’il acheta pour sa belle, dans une des boutiques (le bal était une foire), une montre qui lui coûta 35 guinées ; — de vraies guinées, qu’il tira en espèces réelles, de sa propre bourse, et qui ne figurent pas sur sa liste civile. — Le lendemain, reprend Walpole, Orondate est monté à cheval comme il a pu, et a rendu ses devoirs vacillans à miss Chudleigh. »

Dans ce moment même, Richardson écrivait ses romans puritains, qui se vendaient à dix mille exemplaires ; les philosophes français fondaient l’Encyclopédie, le congrès américain s’assemblait, et la comtesse Du Barry était reçue à la cour de France. Comment ne pas s’écrier avec le vieux dramaturge : « A mad World, my masters ! Le monde est fou, mes maîtres ! ».

Cette miss Chudleigh, si belle en Iphigénie ou en Andromède, vint à son tour mourir en France, où elle avait acheté Sainte-Assise sous le nom de la duchesse de Kingston, et ce n’est pas une des moins étranges parmi ces excentricités qui, n’osant ou ne pouvant pas demeurer à Londres, trop marquées et trop vives pour qu’on les y souffrît, accouraient en France et amortissaient l’âpreté de leurs frasques dans la grace ironique de nos mœurs. Le duc de Wharton, à Rouen, le laid Wilkes prêchant le magnétisme amoureux, dans les salons de Mme de Mirepoix, l’originale lady Montagu et son fils, la bizarre duchesse de