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retirer ses moyens d’action. Quelle serait, au milieu des conflits de l’ambition humaine, la force morale d’un peuple qui dirait : Quoi qu’on fasse, on n’a rien à craindre de moi ; je ne mettrai le pied nulle part, je ne prendrai rien, par la raison que je ne veux pas et que je ne peux pas tout prendre ?

Du reste, le ministère abandonne volontiers cet argument. Il sait que l’Angleterre a des établissemens sur tous les points du globe, et qu’elle n’est pas forcée, pour les garder, de conquérir le monde. Elle a Gibraltar, et ne se croit pas forcée de conquérir l’Espagne. Mais le ministère a un autre moyen d’expliquer les lacunes du traité de Tanger. Savez-vous pourquoi les frais de la guerre n’ont pas été exigés, pourquoi aucun gage n’a été pris ? C’est dans l’intention de ménager Abderrahman, qui est, sachez-le bien, l’ami de la France et le modèle de toutes les vertus publiques et privées. Il fallait le rendre fort et le protéger contre Abd-el-Kader. Voilà le principe du traité. C’est une théorie nouvelle à l’usage des gouvernemens qui ne savent pas profiter de leurs victoires. Rien ne tire d’embarras comme une théorie. Cependant, lorsqu’il s’agissait tout à l’heure d’excommunication et d’expulsion, on se vantait d’avoir imposé des conditions rigoureuses à Abderrahman, et l’on déclare, maintenant, avoir voulu le ménager. On a donc suivi à la fois contre lui une politique de douceur et une politique de dureté ! Tâchez de démêler la vérité au milieu de ces subterfuges contradictoires.

La vérité ! le ministère ne l’a pas dite ; il ne peut pas la dire ; mais elle a jailli à chaque instant de la discussion. « Je n’accuserai pas le ministère d’avoir cédé aux exigences de l’Angleterre, a dit M. Billault ; je n’en ai pas la preuve. » En effet, la preuve matérielle n’a pas été produite ; elle est restée entre les mains du cabinet. Malheureusement les faits connus donnent lieu à de graves inductions. Quelles sont les pièces que le ministère n’a pas voulu communiquer aux chambres ? Ce sont les dépêches du maréchal Bugeaud ; c’est la correspondance relative aux négociations de M. Hay, aux actes de M. Bulwer et de M. Wilson. Qu’a dit sir Robert Peel le 25 juin, en pleine tribune anglaise ? Que M. Guizot lui avait donné des explications complètes et sans réserve sur les projets de la France à l’égard du Maroc. Il est vrai que M. Guizot donne aujourd’hui un démenti à sir Robert Peel. Nous verrons jusqu’à quel point le ministre anglais voudra protéger dans cette circonstance la situation de M. Guizot. En attendant, que de faits démontrent l’influence anglaise dans l’affaire du Maroc ! On avoue que l’Angleterre négociait pour nous ; par conséquent, elle devait connaître la marche que nous voulions suivre, les demandes que nous faisions à l’empereur. M. de Nyon déclare que les Anglais sont les protecteurs, les auxiliaires du gouvernement marocain : croit-on que les auxiliaires du Maroc aient pu seconder fidèlement les intérêts de la France ? Du reste, M. de Broglie ne cache pas là-dessus son opinion. « Le Maroc est le protégé officiel de l’Angleterre, nous dit-il ; si le gouvernement français a été jusqu’à faire quelques sacrifices pour prévenir une complication, il a bien fait. » Or, ces sacrifices qu’approuve M. de