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d’analogie, et à combien de jugemens erronés, faute de notions pratiques, il est conduit à son insu.

Ce n’est ici ni le moment ni le lieu d’entrer dans ces détails ; mais il est à souhaiter qu’une réfutation complète vienne bientôt dissiper jusqu’au moindre doute que peut soulever la lecture de ce mémoire. C’est un travail à faire en présence des archives de Coutances et surtout en présence du monument, travail qui n’aurait pas seulement pour résultat de faire justice d’un préjugé local, mais de donner un salutaire avertissement, en montrant à quelles chimériques conséquences un esprit distingué peut, de la meilleure foi du monde, être entraîné par une fausse méthode archéologique[1].

A côté de cette controverse sur la cathédrale de Coutances, toutes les autres semblent fades et décolorées. Partout ailleurs, en effet, c’est pour des années qu’on se dispute, tandis qu’à Coutances ce sont les siècles qui sont en jeu. C’est le règne de saint Louis qu’il s’agit de substituer au règne du roi Robert : nulle part on ne s’élève à de telles prétentions. Toutefois la cathédrale de Séez sert de texte à des récits qui ne sont guère moins extraordinaires. Quoique d’un style plus

  1. Nous craignons de nous être étendu trop longuement sur la cathédrale de Coutances, et cependant nous ne pouvons nous empêcher de déposer encore ici les impressions que la vue toute récente de ce beau monument nous a fait éprouver. Nous l’avons interrogé pierre par pierre, nous avons cherché avec une minutieuse attention si, dans cette architecture en apparence si pure, si régulière, si achevée, il n’existerait pas quelques singularités, quelques bizarreries cachées, quelque chose, en un mot, d’insolite et d’inconnu, qui permettrait d’y voir une construction unique en son genre, une œuvre d’exception. Non-seulement nous n’avons rien trouvé de semblable, mais nos recherches nous ont conduit à un résultat tout contraire. Nous avons reconnu que, parmi les monumens les plus parfaits que le XIIIe siècle a produits, il n’en est peut-être pas un où se trouvent réunies à un aussi haut degré cette pureté de forme, cette justesse de proportions, cette grandeur de conception dans l’ensemble, et cette finesse d’exécution dans les détails qui caractérisent un style parvenu à son apogée. Quand on a passé en revue chaque membre de cette architecture, chaque moulure, chaque filet, chaque fleuron, on n’est pas seulement étonné de cette netteté vigoureuse des profils, qui n’appartient qu’à l’art au terme de sa croissance, dans sa plus belle maturité ; mais on acquiert la conviction que, dans toute cette église, il n’y a pas une seule pierre taillée à la romane, pas un reflet des anciens procédés, pas une trace d’hésitation, de doute ou de tâtonnement. Conduisez l’homme le plus ignorant dans cette église, et dites-lui que c’est là le début, le premier essai d’une nouvelle architecture ; le simple bon sens lui défendra de vous croire. Pour moi, je veux bien qu’on nous dise que les anges sont venus bâtir en 1030 la cathédrale de Coutances ; mais ce que je n’admettrai jamais après l’avoir vue, c’est que des hommes aient taillé et posé une seule des pierres qui la composent, non pas cent soixante-dix ans, mais un seul jour avant que le XIIIe siècle eût commencé de luire sur nos contrées.