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illusions les hommes d’état y peuvent-ils conserver encore sur la vieille politique agressive et militante, par malheur si naturelle aux hommes publics des nations méridionales, quand on voit que tous les deux ans, à dater de 1834, le régime établi a été, avec une sorte de régularité fatale, bruyamment renversé ou remis en question ? En 1834, dom Pedro détrône son frère et promulgue une seconde fois sa fameuse charte ; en 1836, un mouvement populaire, qui bientôt gagne tout le royaume, emporte cette charte et la remplace par un nouveau pacte ; en 1838, les radicaux de l’Arsenal prennent les armes, et le sang portugais coule dans les rues de Lisbonne ; en 1S40, l’émeute éclate aussi ardente, aussi meurtrière que jamais dans la capitale, a Castello-Branco et dans les plus grandes villes ; en 1842, M. da Costa-Cabral lui-même, un ministre de la couronne, s’insurge à Porto contre la loi fondamentale existante et restaure l’ancienne charte. C’est exactement tout le contraire que M. le comte de Bomfim a voulu faire, en 1844, à Portalègre et dans la place d’Almeida. Ce duel acharné que se livrent en Portugal la constitution octroyée par l’empereur dom Pedro et celle que la nation s’est donnée à elle-même, M. Jules de Lasteyrie en a déjà écrit l’histoire jusqu’au pronunciamiento officiel de M. da Costa-Cabral. Nous nous renfermerons dans les questions aujourd’hui brûlantes, celles qu’un si hardi coup d’état, accompli par le pouvoir à l’aide même des moyens jusqu’ici employés pour renverser le pouvoir, a partout soulevées dans le pays ; ce sont les luttes récentes des partis, leurs luttes actuelles, que nous voulons raconter.

La charte de dom Pedro, toute remplie de dispositions restrictives, et maintenant les plus vieux monopoles, était formulée en vue de la société an tienne que régissait l’aristocratie de naissance ; de tout temps, et cela se comprend sans peine, la classe moyenne et le peuple, si l’on excepte les fonctionnaires, ont témoigné pour cette charte ou l’indifférence la plus profonde ou la répulsion la mieux caractérisée. Ce qu’il y a eu de plus étrange, c’est que l’aristocratie elle-même n’en a jamais pris souci que fort médiocrement ; la charte a institué une chambre haute moitié élective, moitié héréditaire, que le gouvernement compose et renouvelle de façon à perpétuer la pairie dans les grandes familles. Le gouvernement y appelle surtout les nobles et les évêques ; eh bien ! évêques et nobles n’y vont siéger qu’avec une extrême répugnance ; quelques-uns d’entre eux passent des années entières, sans faire une seule fois usage de leur droit. En Portugal comme en Espagne, la vieille aristocratie ne se fait point remarquer par le talent ni par le savoir. Les grands d’Espagne du moins se sont presque tous franchement et décidément ralliés à la monarchie constitutionnelle ; c’est tout le contraire qu’il faut dire des grands de Portugal. Nous ne pensons point pour cela qu’en Portugal, on s’en doive tenir à une chambre unique ; seulement, nous croyons que la chambre des pairs serait plus puissante, plus vivace, plus apte à contrôler l’assemblée élective, si l’aristocratie de naissance, qui n’accepte point le régime représentatif, et d’ailleurs n’est guère en état de le bien comprendre, n’en formait pas l’élément principal. Après l’échauffourée de