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même dont il avait été si long-temps l’expression et l’espérance. Quel était ce prince, quels présages pouvait fournir sa jeunesse, quelles hâtives épreuves avaient façonné cette souple et forte nature ?

Ce fut un bien grand jour pour Henri d’Albret que celui où il emporta dans les pans de sa robe le vigoureux enfant destiné à le venger plus tard de l’Espagne. La chanson de sa mère dans les douleurs de l’enfantement, le vin de Jurançon et la gousse d’ail ont reçu depuis Péréfixe une consécration populaire. Tout cela est devenu vrai. Henri d’Albret était un prince d’un esprit cultivé. Il avait en matière d’éducation des idées fort avancées qu’on dirait empruntées de l’Émile. Il voulut faire élever le jeune comte de Viane à l’air libre des montagnes, la tête nue et les pieds déchaux. Nourri en simple gentilhomme, au château de Coroaze, dans les solitudes du Bigorre, ayant passé toute sa jeunesse dans une province aux habitudes simples, au langage pittoresque, Henri contracta dans ce commerce journalier avec la nature et avec les hommes une rectitude de pensée et un naturel de manières inconnus aux princes grandis dans l’enceinte des cours. Élevé dans les principes calvinistes par sa mère, dans le temps où Antoine de Bourbon, son père, combattait contre les réformés, à la tête de l’armée royale, le prince de Béarn avait contracté par suite de cette déplorable dissidence une indifférence précoce pour les idées qui passionnaient si vivement son siècle. Cette indifférence, entretenue par le goût des plaisirs et les entraînemens de la jeunesse, était rendue plus invincible encore par le spectacle des animosités et des violences qui répugnaient à son équité et à sa modération naturelles. Doué d’un sens droit et d’un calme imperturbable, lors même qu’il semblait dominé par l’ivresse des sens, Henri de Béarn ne pouvait s’associer ni à l’ardeur de tant de haines, ni aux illusions de tant d’espérances dont son bon sens pénétrait la vanité.

Conduit un jour à la cour à l’âge de huit ans, cet enfant alerte et frais avait charmé Henri II par la vivacité de ses réparties en langue béarnaise, la seule qu’il parlât alors. Deux années passées au collége de Navarre lui apprirent le français et quelque peu de latin. Les habitudes de l’écolier n’enlevèrent rien à l’originalité du jeune montagnard. Jeté après la mort de son père dans le camp des réformés par l’autorité de Jeanne d’Albret, proclamé à la mort du prince de Condé, son oncle, chef nominal du parti, il assista à la bataille de Moncontour à l’âge de seize ans. Son coup d’œil militaire, si l’on en croit les historiens, pénétra le vice des dispositions qui amena la perte de cette