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LIMOËLAN.

jusque sur les bords de la Loire. Cependant il ne se trouva point dans le pays de curieux assez intrépides pour s’en assurer. Ces passages, s’ils existaient, servirent sans doute pendant la guerre au comte de Limoëlan, dont les prompts mouvemens sur l’une et l’autre rive de la Loire semblaient tenir du prodige. En 1793, on essaya souvent de brûler Beaulieu, mais la vieille muraille résista, et les soldats de la république ne purent que souiller ces voûtes féodales d’affreuses orgies, dont le souvenir se mêlait aux anciennes superstitions.

Quand on interrogeait M. de Limoëlan sur ces mystères, il affectait un grand mépris pour rassurer ses gens. Hercule, la tête échauffée depuis son enfance par les récits qu’on en faisait, tenta souvent de pénétrer dans l’intérieur du château ; mais il fut arrêté par des grilles de fer inébranlables.

Au surplus, si les frayeurs de Langevin s’étaient ranimées, ce ne fut point sans sujet. Sa maison étant située à égale distance de Lagrange et du vieux château, il fut troublé plusieurs fois par des spectacles assez extraordinaires. Une nuit, entre autres, réveillé par les sifflemens d’un orage qui ébranlait ses fenêtres, il vit distinctement une tramée lumineuse sortir de la vallée, derrière la grande tour de Beaulieu. Ce feu, qui ne fut suivi d’aucun bruit, ne ressemblait point à la foudre, et Langevin ne put voir là que l’effet d’un maléfice. Il crut aussi plusieurs fois, et toujours dans la nuit, apercevoir des ombres qui rôdaient au pied des murs de Beaulieu ; mais son maître ayant rebute les premières communications de ce genre, il pensa qu’il fallait se taire. M. de Limoëlan d’ailleurs devenait de jour en jour plus farouche et plus affairé. Langevin l’approchait à peine en lui apportant de temps à autre quelque lettre venue de Paris. Il se doutait bien que ces lettres étaient de M. Hercule ; mais le comte les recevait d’un tel air, qu’il n’avait jamais osé, malgré tout son désir, s’informer de son jeune maître. Deux ou trois de ces lettres, qu’on fera connaître, expliqueront ce qui se passait alors entre le père et le fils.

Limoëlan, en envoyant son fils à Paris, n’avait pas fait certaines réflexions qui le frappèrent dans la suite. La France était alors ivre de triomphes. L’Europe coalisée et refoulée de toutes parts, les merveilleuses campagnes d’Italie et d’Égypte, la dernière levée de l’ouest comprimée, pouvaient faire croire que cette république, qui n’était déjà plus qu’un nom, avait enfin vaincu tous ses ennemis tant au dedans qu’au dehors ; l’enthousiasme public enivrait surtout cette jeunesse des écoles militaires, appelée à figurer bientôt à son tour sur le théâtre de ces guerres glorieuses. L’élévation rapide de tant de