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— Tenez, monsieur Hercule, Dieu sait si j’ai du plaisir à vous voir là, mais j’aimerais encore mieux vous savoir bien loin.

Puis, se hâtant dans les soins qu’il voulait prendre, il rajusta les tisons, souffla sur des bruyères sèches qu’il avait jetées dans l’âtre, et posa sur une table quelques restes de nourriture.

— C’est vrai, dit Hercule en levant la tête, je pourrais te compromettre ; tu m’as tiré d’inquiétude, je vais m’en retourner.

— Vous me faites injure, monsieur Hercule ; je vous ai sauvé une fois, je vous sauverai bien deux. Vous connaissez bien Langevin, il se jetterait dans le feu pour vous. D’ailleurs, il faut que je vous reconduise ; vous courriez justement grand risque à cette heure. C’est un miracle que vous ayez échappé aux embûches en arrivant. Vous resterez ici tant que vous voudrez, et vous coucherez dans mon lit. Je passerai la nuit au coin du feu.

Quelques instances que pût faire le capitaine, il fallut se résigner à cet arrangement. Il se jeta sur le lit du concierge.

— C’est que, voyez-vous, disait Langevin en allant et venant pour achever ses préparatifs, on dirait que Lagrange est désert ; mais il y a partout des yeux et des oreilles. Vous allez frapper à la porte, M. le comte est absent. Vous verrez pourtant des gens qui vont et viennent. Je vous en dis peut-être trop, et sans doute je ne sais pas tout ; mais le diable s’en mêle assurément. Il y a long-temps que je l’ai dit, te vieux château noir de Beaulieu est un mauvais voisin qui porte malheur à Lagrange.

Mais il parlait encore que le capitaine, accablé des fatigues de la journée, dormait profondément. Langevin alluma sa pipe, éteignit sa lampe, et s’assit au coin du feu, où il ne tarda pas à s’endormir lui-même.

Il faisait encore nuit quand Hercule, rudement secoué, s’étonna d’entendre Langevin qui lui disait :

— Monsieur Hercule ! vite, levez-vous !

— Mais il ne fait pas jour.

— Je suis fâché de vous réveiller si matin, mais le temps presse, il ne faut point nous exposer.

Hercule vit, en sautant à bas du lit, que Langevin était fort épouvanté.

— Eh bien ! mon ami, je vais me remettre en route.

Mais Langevin se jeta sur lui.

— Au nom du ciel, ne bougez pas ! Dieu sait ce qui pourrait vous