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durable ; là éclate la profonde différence qui sépare le Lépreux des Mémoires du Diable et Colomba des Mystères de Paris. Je l’avoue, M. Xavier de Maistre n’a pas fait la fortune des cabinets de lecture, et le nom de M. Mérimée n’a guère été crié à son de trompe dans les carrefours du feuilleton pour convoquer l’arrière-ban des abonnés retardataires. C’est un malheur ; mais peut-être le Juif errant aura-t-il rejoint les romans oubliés de Rétif, peut-être le Comte de Monte-Cristo reposera-t-il paisiblement auprès des élucubrations de Mercier, quand on lira encore la Vénus d’Ille et le Voyage autour de ma Chambre. L’avenir pourrait bien donner cet impertinent démenti au présent : il n’y a d’égal à la vogue de la veille que l’indifférence du lendemain. Toujours le talent a droit à sa revanche.

L’Académie française, dans ses dernières élections, a eu le bon goût et en même temps la prudence de ne point prendre le fracas pour la renommée ; elle n’a pas sacrifié au veau d’or. Qu’on n’en doute point, la voie où elle vient d’entrer est la seule bonne ; nous espérons qu’elle s’y maintiendra résolument. Dans l’abaissement notoire où sont tombées les mœurs littéraires, il est bon que le dévergondage de l’imagination et le trafic de la pensée ne reçoivent pas la consécration d’un corps officiel qui semble appelé, avant tout, à maintenir les traditions de dignité littéraire. En laissant de côté la valeur même des titres de chacun des derniers élus, qui ne serait frappé de voir, en quelques semaines, entrer l’un après l’autre à l’Académie M. Saint-Marc Girardin, qui n’a cessé de recommander la morale aux écrivains qui en oubliaient jusqu’au nom ; M. Sainte-Beuve, qui le premier a donné le stigmate d’une dénomination à la littérature industrielle, et enfin M. Prosper Mérimée, qui aux déportemens du style substituant la sobriété, à l’intempérance de composition l’économie, à la précipitation les patientes retouches, au bruyant succès des entreprises mercantiles les discrètes inspirations de l’art, a fait de sa carrière une sorte de contraste épigrammatique avec celle des lions actuels du roman et du théâtre ?

Certes, on nous permettra de croire qu’il y a là un symptôme significatif, et plus qu’une coïncidence de hasard. Dira-t-on que l’Académie se défie par système de la popularité proprement dite, et qu’elle a un parti pris contre les ovations du succès ? Mais qui, dans ce temps-ci, a eu plus de succès que M. Scribe ? Ses pièces sont jouées tous les soirs de Stockholm à Tombouctou, et, pour peu qu’on continue de conclure encore quelques traités relatifs à la contrefaçon, M. Scribe touchera, des droits.d’auteur en Sibérie. Selon nous, l’Académie