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une foule de personnes de tous les rangs. Beaucoup des plus compromis se sauvèrent, et sont encore réfugiés dans les cantons de Berne et d’Argovie :

Sur ces entrefaites, fort heureusement, le sceptre directorial passa de Lucerne à Zurich. Il aurait été déplorable qu’un vorort se trouvât exposé aux paniques continuelles qui se succèdent à Lucerne. Toutes les semaines, au moins une fois, la générale bat, les signaux et les exprès volent de tous côtés pour chercher des renforts, des nouvelles de détresse et de bataille arrivent par les courriers jusqu’aux bords du Léman ; puis, le lendemain, quelquefois le soir même, on découvre qu’on a donné dans un panneau d’alarme tendu par des libéraux de bonne humeur. Il semblerait qu’une fois averti, on ne dût plus se laisser prendre ; mais voici déjà la troisième alerte sérieuse, et rien n’annonce que ces paniques doivent enfin cesser. Au contraire, il paraît que le parti qui veut absolument renverser les jésuites à Lucerne par tous les moyens possibles se flatte de fatiguer, à force de fausses frayeurs, la vigilance de leurs amis, pour attaquer enfin à l’improviste avec plus de chances. Ce parti, qui s’est organisé dans quelques cantons protestans et mixtes par des assemblées populaires, s’est enrégimenté en corps-francs en dehors des gouvernemens. Ceux-ci négocient et temporisent de leur mieux, soit entre eux, soit avec leurs administrés remuans.

Au milieu de tout ce bruit belliqueux, on conçoit que la diplomatie n’ait pas beau jeu et ne parvienne guère à se faire entendre. Cependant elle agit, elle s’efforce de pourvoir aux éventualités que chaque jour modifie ; elle attend avec impatience les débats prochains d’une diète convoquée extraordinairement par le gouvernement de Zurich, diète qui aura probablement pour effet de rompre l’espèce de trêve qui conserve encore la paix. A peine revêtu des pouvoirs de vorort, Zurich a envoyé une députation à Lucerne pour conjurer cet état de renoncer à sa fatale résolution, ou du moins de la suspendre. La réponse a été la demande d’un délai pour se décider, délai qu’on soupçonnait Lucerne de vouloir prolonger jusqu’à ce que l’établissement des jésuites fût un fait consommé. Le gouvernement de Zurich a dû se résoudre à convoquer la diète, et, le 21 janvier, il a adressé une circulaire à tous les cantons, les priant d’inviter leurs députés à se réunir en diète extraordinaire à Zurich, le 24 février prochain.

En réalité, les jésuites ne doivent entrer qu’en automne, s’ils entrent, et Lucerne, forcément déterminé à suivre la voie où il s’est si imprudemment engagé, serait bien aise qu’on l’en tirât autrement que par la violence, et son honneur restant sauf. Il est en outre étouffé sous le procès monstre qu’il fait aux insurgés et à leurs partisans, et sous les dépenses excessives que nécessite son état continuel de défense. Pour suffire à tout cela, il a pris une mesure des plus iniques, et qui a déjà soulevé des réclamations dans plusieurs cantons : les biens des insurgés ont été confisqués sans égard, assure-t-on, aux dettes contractées auparavant, en sorte que les négocians en affaires avec ces Lucernois compromis risquent de perdre leur titre antérieur. Les