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ingénieurs en explorent le sol, et tout dernièrement encore ils étaient au moment d’ouvrir des mines et de créer un établissement sur le territoire de la Perse, malgré le gouvernement du shah[1]. En présence de pareilles menaces, il est également impossible et que l’Angleterre ne proteste pas et qu’elle proteste avec efficacité. Mais telle est la malheureuse situation à laquelle le traité de 1840 l’a réduite : elle se voit obligée de conserver une alliance qui lui coûtera peut-être plus que toutes nos froideurs. On la tient en garde contre celle qu’elle eût préférée ; on profite de cette contrainte, qui l’empêche de se plaindre tout haut, pour travailler sourdement à sa ruine ; on se joue d’elle à Téhéran, parce qu’on s’est joué d’elle à Londres.

Un mot encore, et certes il faut que l’Angleterre y songe. Chaque fois qu’elle se remue contre nous, ce funeste mouvement resserre les liens tendus par la Russie pour gêner son empire d’Asie, et chaque fois que les Russes font un pas de plus à l’est de la Caspienne, ils s’assurent une chance de plus pour ruiner le commerce anglais sur le continent. Le commerce qu’ils entretiennent eux-mêmes avec l’Orient est le meilleur appât qu’ils puissent offrir à l’Allemagne. Or, c’est un grand négoce et qui va toujours s’accroissant[2]. L’Allemagne en suit les progrès avec une attention plus intéressée qu’on ne pense ; elle compte les bénéfices qu’elle aurait à partager, elle calcule le prix auquel on pourrait les lui vendre ; elle est toute prête à l’offrir. Croit-on par hasard que l’union des douanes germaniques, déjà si ennemie des pays de l’Occident, aurait beaucoup à refuser au cabinet de Saint-Pétersbourg ? Croit-on qu’elle ne deviendrait pas tout aussitôt plus active et plus exclusive, le jour où, en échange de sa soumission, le czar ouvrirait à ses produits les vastes débouchés des marchés asiatiques ? Croit-on que ce ne serait pas une terrible révolution, le jour où, « sur un signal donné de Saint-Pétersbourg, communiqué à Berlin, répété à Constantinople et à Alexandrie, on verrait en un moment toute l’Europe septentrionale et centrale, les deux Turquies, toutes

  1. La question n’est pas encore vidée. A la date du il novembre 1844, le shah était toujours persécuté par M. de Medem pour laisser arriver les mineurs et recueillir le charbon qui doit servir aux bateaux de la Caspienne ; il s’y refusait et disait qu’il ne céderait qu’à la force.
  2. Les exportations russes pour l’Asie montaient, de 1825 à 1829, à la moyenne de 21,430,299 roubles ; de 1829 à 1832, elles s’élevèrent à la moyenne de 56,198,578. Les Russes sont depuis un siècle à Pékin ; nous arrivons d’hier à Canton. (Voir, au tome II des Mémoires de Klaproth, la relation si importante du traité conclu par le czar avec les Chinois en 1727.)