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comme de sa justice, Henri avait repris toute la liberté de ses allures et rendu à la France, avec son rôle naturel, une prépondérance éclipsée pendant près d’un siècle.

C’est par comparaison qu’il faut juger les époques comme les hommes, et lorsqu’à de longs jours d’impuissance et de honte on voit succéder ce temps d’activité réparatrice, on sent qu’un esprit original et puissant a passé par là. Le nom de grand a donc pu être justement attribué par ses contemporains au prince qui sut frayer à sa patrie une voie vers de hautes destinées. N’acceptons pourtant qu’avec réserve tous les résultats de ce règne mémorable, et ne méconnaissons ni les idées fausses ni les germes dangereux qu’il prépara pour l’avenir.

Exclusivement préoccupé, comme presque tous ses prédécesseurs, du soin de constituer territorialement la France, Henri ne s’inquiéta point de la constituer politiquement. Il la laissa plus dépourvue d’institutions qu’elle ne l’était avant la ligue ; il ne fonda rien qui pût résister aux intérêts égoïstes dont l’inévitable coalition l’alarmait pour la jeunesse de son fils, et en mourant il emporta dans la tombe son œuvre tout entière. Cinquante années d’agitations étaient donc restées stériles. La bourgeoisie trouva sa perte dans le grand mouvement dont elle avait espéré voir sortir la légitime consécration de son importance ; la noblesse conquit des honneurs et ne réclama aucune puissance, plus jalouse d’être admise aux levers du monarque que d’entrer légalement en partage de son autorité. Par leur concert et leur menaçante attitude, les réformés obtinrent des conditions beaucoup plus favorables que toutes celles qui leur avaient été concédées jusqu’alors, et l’édit de Nantes leur assura une position politique et militaire que Sully lui-même n’hésite pas à déclarer incompatible avec les attributions d’une monarchie. Cependant le grand principe de la liberté de conscience ne s’établit ni dans les esprits ni dans les mœurs, et la force seule garantissait des droits exposés chaque jour à se voir contestés le lendemain. Au lieu de régler par des institutions régulières cette vie politique qui avait circulé à torrens aux états de Blois et de Paris, on estima qu’il était plus habile de la tarir à toutes ses sources, là du moins où l’on pouvait l’atteindre sans trop de péril, et le roi seul resta debout dans le royaume, appuyé sur une brave noblesse dont on fit moins un corps qu’une caste, et à laquelle on persuada que son seul devoir envers la France était de se faire tuer pour elle. De plus, Henri IV, dans son triomphe, eut des flatteurs, et ceux-ci altérèrent singulièrement la physionomie des évènemens contemporains et la portée de la restauration qui l’avait fait monter au trône.

On feignit d’oublier que celle-ci ne s’était opérée que par suite de la