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ce tableau une émotion irrésistible, et puis, voyez l’intérêt puissant de ces plaintes si légitimes et comme elles deviennent plus douloureuses dans cette bouche naïve ! Puisque les pères ne peuvent obtenir justice, le poète fera parler les enfans, il les enverra demander secours aux puissances mystérieuses, aux gnomes de la bruyère, aux anges du paradis, et des voix monteront de toutes parts pour protester contre la misère et l’oppression. Je retrouve la même intention dans une pièce moins belle peut-être, moins dramatique, mais qui emprunte un intérêt tout aussi douloureux aux funèbres circonstances qui l’ont inspirée. C’est l’élégie que l’auteur a intitulée Une Ame, Eine Seele. Vous venez de voir l’enfant du pauvre, le fils du fabricant de toile, demandant au bon génie de la bruyère le salaire de la semaine, un peu d’argent, un peu de pain, pour son père qui a tant travaillé, pour sa mère qui se lamente. Cet autre enfant que l’auteur met en scène ne demande pas du pain, il demande le bon droit, la justice, la liberté. Son père a été jeté en prison, dans un duché d’Allemagne, sur on ne sait quelle vague accusation de complot. C’était pourtant un homme éminent, un publiciste, un jurisconsulte distingué, un professeur de l’université de Marbourg. Au mépris des plus simples règles de l’équité naturelle, on l’a laissé au cachot pendant cinq ans, sans le vouloir juger. Il faut dire, à l’honneur de ce pays, l’universelle indignation que soulevèrent ces procédures monstrueuses. Les défenses, les consultations, se succédaient sans relâche ; les jurisconsultes les plus vénérés protestèrent avec force contre ces honteuses violences ; une fois, ce fut M. Mittermaier, l’ancien président de la chambre des députés du duché de Bade, et la consultation du célèbre professeur ne fut ni la moins énergique ni la moins redoutable. Vains efforts ! le cri de la conscience publique était insolemment dédaigné. Il eût fallu ici un Voltaire : la plume intrépide qui réclamait pour Sirven et Labarre contre l’iniquité de son temps n’eût pas été inutile pour rappeler la notion du juste à ces tribunaux secrets, à cette magistrature dépendante. Ces puissances occultes sont terribles ; rappelez-vous l’archiduc des chats-fourrés dont Rabelais a dessiné l’effrayant portrait. Puisque nul n’a réussi, ce sera un enfant qui parlera ; mais à qui s’adressera-t- il ? A Rübezahl ? au bon génie de la légende ? Non, à Dieu, au ciel, aux grands hommes de la patrie qui, entrés déjà dans une vie meilleure, habitent les sphères célestes. Il montera au ciel, et peut-être les sauveurs invoqués par lui seront-ils moins sourds que Rübezahl. Écoutez ; c’est une triste et touchante histoire. Tandis que M. Jourdan, épuisé par cette longue captivité, attend sous