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eu lui-même, il faut laisser dans l’ombre toutes ces facéties, tâcher de les oublier, éviter surtout d’en triompher trop aisément ; il faut dire enfin que, malgré ces plaisanteries détestables, on veut prendre au sérieux son manifeste politique, et ne point renoncer à l’estime qu’avaient inspirée de très beaux vers.

M. Freiligrath certainement gardera rancune un jour à celui qui l’a si mal inspiré. Les pièces qu’il imite de son nouvel ami sont le plus fâcheux commentaire de cette singulière épître qu’il lui adressait tout à l’heure. Les facéties auxquelles M. Hoffmann sait donner une tournure particulière de bonhomie naïve sont bien gauches, bien maladroites, dans la bouche de M. Freiligrath. M. Hoffmann est le poète candide, c’est trop dire, le ménétrier joyeux des tavernes ; il ne chante guère qu’après boire, et ses meilleurs refrains exhalent sans façon une odeur de bière et de tabac qui ne répugne pas au goût allemand. On sent combien ce rôle doit peu convenir au chantre inspiré des ballades : Je ne sais rien de plus maussade que sa plaisanterie, rien de plus attristant que sa gaieté. Ici, ce sont deux pièces sur le prince Louis de Prusse qui, au commencement de ce siècle, changea le costume des troupes et supprima la queue ; là-dessus, force quolibets, appels et prières au prince pour qu’il revienne supprimer toutes les queues et toutes les vieilleries. Un peu plus loin, il s’agit de Wallenstein : « O Wallenstein, dit le poète, comme nous savons t’imiter, et que de Wallenstein parmi nous ! Le chant du coq te faisait peur, dit-on ; et nous aussi, le chant matinal qui annonce le jour nouveau, le chant du coq nous fait trembler ! » Ce sont là de ces médiocres épigrammes qui, pour valoir quelque chose, veulent être légèrement lancées. Ces sortes de railleries prennent chez M. Hoffmann un air de candeur qui les rend parfois originales, et l’on sait avec quelle grace charmante et redoutable M. Heine excelle à les aiguiser, à les empoisonner. Au contraire, la langue éclatante de M. Freiligrath fait ressortir désagréablement la pauvreté de son persiflage. Une autre fois, il apprend qu’une maison de jeu vient d’être établie à Ebernbourg, aux bords de la Nahe, dans cette vallée où Ulric de Hutten trouva un asile chez Franz de Sikkingen. L’auteur évoque tout aussitôt le refrain fameux du poète guerrier : « Jacta est alea, ich hab’s gewagt ! le sort en est jeté, c’en est fait ! je l’ai osé ! » et ce jacta est alea opposé aux cris des joueurs devient pour lui une matière à antithèses, un texte de plaisanteries fort peu spirituelles. Cette pièce, moitié sérieuse, moitié satirique, commencée avec noblesse et terminée par un badinage équivoque, a le grand tort en outre de rappeler