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entière, un propriétaire, don Esteban de Oviedo, découvrit à la Sabanilla, à sept lieues de Matanzas, une vaste conspiration, ourdie avec une habileté, extrême, et où s’étaient profondément, engagés non-seulement les nègres de l’habitation, mais encore ceux de tout le district, soixante mille, ni plus ni moins, qui avaient pour complices, à la Havane et dans les villes principales, un très grand nombre d’hommes de couleur, de ceux même qui depuis long-temps, sinon depuis leur naissance, sont en pleine possession de la liberté. Dès les premiers interrogatoires que subirent les conjurés, on fut frappé de l’intelligente hardiesse qui présidait à tous leurs plans, de la stratégie savante avec laquelle, si on ne l’avait point prévenue, aurait éclaté et se serait propagée la rébellion. On en put facilement conclure que, si la race esclave fournissait les instrumens du complot, il en fallait chercher ailleurs la pensée. Or, comme de tous les naturels, de tous les habitans du pays, colons ou Espagnols, peu importe, il n’en est pas un seul dont ce complot ne dût anéantir jusqu’aux moindres intérêts, on fut bien contraint de remonter à la vraie source, et d’imputer à la propagande anglaise ce péril immense auquel on venait d’échapper.

Est-ce à dire pour cela que l’Angleterre entretienne parmi les noirs des agens qui les poussent à la révolte ? Non, certes ; ce serait là un moyen d’une trop vulgaire habileté. A la vérité, il n’y a jamais eu, à la Havane, ni dans les autres ports de l’île, un seul consul anglais dont l’attitude n’ait été moralement un encouragement positif pour tous les hommes de couleur ou de race noire qui songeraient à briser la domination des blancs par la violence. Si une lutte sérieuse entre les deux races désole un jour la reine des Antilles espagnoles, on peut être sûr d’avance que les Anglais n’en demeureront point, à la Jamaïque, les spectateurs impassibles. Que les nègres finissent par l’emporter, sans aucun doute la magnanime Angleterre ne pourrait se résoudre à le souffrir ; mais, d’un autre côté, la métropole actuelle, les colons de race espagnole ne devraient point s’abuser sur l’issue de la crise : ce n’est point à leur profit qu’elle pourrait se terminer. Sur ce point, ils peuvent se fer pleinement à la nation envahissante qui, aux guerres de la succession, a gagné Gibraltar. Vous imagineriez difficilement par quelles manœuvres elle fait aujourd’hui pénétrer aussi avant que possible dans la race noire la haine du joug espagnol. On se souvient du consul Turnbull, ce Pritchard des Antilles, qu’en 1841 le capitaine-général Valdez se vit obligé d’expulser de l’île, malgré le caractère officiel dont il était revêtu. Quel que soit le génie d’intrigue dont M. Turnbull puisse être doué, si grande qu’ait été sa persévérance,