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soustraire à son pouvoir absolu, ni de tromper sa vigilance ; impossible qu’une goélette arrive dans l’île, si déserte que soit la côte où elle vient aborder, impossible qu’elle essaie d’en sortir, sans que par ses carabiniers, ses marins, les meilleurs et peut-être les seuls bons de l’Espagne, le capitaine-général ne soit à même de suivre tous ses mouvemens. L’avenir de la colonie est donc tout entier entre les mains de l’Espagne ; à l’Espagne seule, et non point à l’Angleterre, de supprimer réellement la traite ; à elle de livrer les campagnes à des populations européennes qui rétablissent en faveur de la race blanche une immense supériorité numérique sur la race noire ; à elle de constituer le travail libre, pour qu’elle aussi puisse un jour émanciper ses esclaves ; à elle de réorganiser sa colonie et d’y favoriser le progrès social, de telle manière que tout prétexte soit enlevé à l’Angleterre d’y ourdir des intrigues et d’y entretenir, d’y exalter les profonds ressentimens de la race asservie.

Tout récemment, réduite à se débattre dans les complications intérieures, peut-être aussi courbant à son insu le front sous le remords de n’avoir rien fait pour abolir la traite, l’Espagne s’est vue contrainte de céder aux obsessions de l’Angleterre ; elle a reconnu le droit de visite, elle a d’avance sanctionné toutes les avanies que les croiseurs anglais peuvent faire essuyer à ses marins au long cours, tous les arrêts des juges anglais du tribunal mixte de Sierra-Leona, ou pas un juge espagnol n’a siégé encore, et de cette autre juridiction étrangère qui, sous pavillon britannique, s’est venue installer sur le fameux ponton établi en 1837 dans la baie même de la Havane. Ce qui manquait à l’Espagne, ce n’était pas seulement la puissance, c’était presque le bon droit et, si l’on peut ainsi parler, comme le bon témoignage de soi-même. Demain, quand elle aura bien réellement supprimé la traite, le bon droit sera pour elle un droit si incontestable, que les Anglais eux-mêmes ne pourront guère songer à le mettre en question. Alors, en attendant qu’elle ressaisisse la puissance, qu’est-ce qui l’empêchera de s’associer, sinon par des actes, au moins par des vœux hautement exprimés, à la résistance dont la France et les États-Unis ont enfin donné le signal ? Qu’est-ce qui l’empêchera de protester contre les croiseurs britanniques, les prétendus tribunaux mixtes et contre le ponton de Cuba ?

On le voit donc, la réelle suppression de la traite, accomplie par les capitaines-généraux eux-mêmes et par les marins, est le seul moyen efficace, le seul qui reste à l’Espagne de relever son drapeau devant le pavillon de l’Angleterre, de revenir un jour sur le sacrifice qu’elle