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jour nous pouvions nous trouver en présence du camp marocain que nous croyions plus près qu’il ne l’était réellement. A l’entrée de la nuit, les fourrageurs se reployèrent sur les colonnes pour simuler la retraite sur notre camp, et, dès que nous nous fûmes dérobés à la vue des éclaireurs marocains, les colonnes s’arrêtèrent ; il leur fut ordonné de se reposer pendant quatre heures, sans rien déranger à l’ordre de marche ; elles furent entourées de vedettes.

A minuit, nous nous remîmes en mouvement ; au petit jour, nous arrivions à Isly : nous n’y trouvâmes point d’ennemis. Le passage, assez difficile, nous prit plus de temps que nous ne pensions ; il était cinq heures du matin quand nous nous remîmes en marche. Comme nous avions été signalés par les éclaireurs, les Marocains avaient tout le temps nécessaire pour lever leur camp et éviter la bataille ; mais, pleins de confiance dans leur nombre et fiers du souvenir de la destruction de l’armée de dom Sébastien de Portugal, ils s’étaient décidés à l’accepter, et nous rencontrâmes leur armée au second passage de l’Isly. Leur camp s’apercevait à deux lieues de là ; il blanchissait toutes les collines. A cet aspect, nos soldats firent éclater des cris de joie. Le bâton qu’ils portent pour s’aider dans la marche et tendre leurs petites tentes fut jeté en l’air avec un ensemble qui prouvait que tous à la fois avaient été frappés du même sentiment de satisfaction.

Le maréchal fit faire une halte de quelques minutes pour donner ses dernières instructions à tous les chefs de corps réunis autour de lui. Comme il savait qu’il n’y avait que trois gués, il ordonna de passer la rivière en ordre de marche, et de ne prendre l’ordre de combat que sur l’autre rive, après en avoir chassé les nombreux cavaliers qui l’occupaient. Cette manœuvre hardie eût été impossible devant des troupes européennes, car on sait le danger qu’il y a à se former sous le feu de son ennemi ; mais, entre deux inconvéniens, il fallait éviter le plus grand. Si l’on avait pris l’ordre de combat avant de passer la rivière, il aurait fallu presque autant de gués que de bataillons pour ne pas se brouiller : or, il n’y en avait que trois ; partout ailleurs, c’étaient des berges escarpées.

Le passage s’opéra avec audace, l’ordre de bataille fut pris sous le feu le plus vif et sous des attaques réitérées. Bientôt l’ennemi déploya toutes ses forces en un vaste croissant, qui, en se fermant, nous enveloppa complètement. Le bataillon de tête fut dirigé sur le camp, les troupes marchaient au grand pas accéléré, le général ayant défendu de battre la charge, disant que de tels ennemis ne méritaient pas cet honneur.