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avec une imperceptible majorité, et que c’est la chose la plus simple du monde.

La discussion des fonds secrets n’a duré que deux jours. Encore, le premier jour a-t-il été entièrement consacré à l’incident des destitutions. M. Drouyn de Lhuys a parlé avec beaucoup d’esprit et de mesure. Il est toujours difficile de venir parler de soi à la tribune et de donner des détails sur une situation personnelle. M. Drouyn de Lhuys s’est tiré de cette difficulté avec un rare bonheur. Il est résulté clairement de ses explications que M. le ministre des affaires étrangères a eu sur les devoirs politiques du député fonctionnaire deux opinions opposées, deux convictions contraires, à quelques années ou même à quelques mois de distance. Ainsi, en 1839, lorsque M. Drouyn de Lhuys, secrétaire d’ambassade, se portait au collège de Melun comme candidat de l’opposition, M. Guizot encourageait sa candidature. Il trouvait l’attitude politique de M. Drouyn de Lhuys parfaitement compatible avec les devoirs du fonctionnaire. Il est vrai que M. Guizot était alors de l’opposition. Depuis, M. Drouyn de Lhuys, directeur de la division commerciale aux affaires étrangères, est venu siéger dans la chambre. Il a pris place au centre gauche ; il a voté publiquement contre la politique étrangère du cabinet. Qu’a fait M. Guizot ? Pendant trois ans, il a respecté la situation de M. Drouyn de Lhuys ; mais le jour où il a cru devoir intimider la chambre, il l’a destitué. M. Guizot a vainement essayé de justifier cette mesure de colère et de passion. Personne ne conteste au gouvernement le droit de choisir à son gré les agens de sa politique, et de prendre sous sa responsabilité les mesures nécessaires pour garantir son action administrative ; mais que les députés fonctionnaires dépendent du caprice ministériel, qu’un ministre vienne proclamer aujourd’hui à la tribune la liberté du vote silencieux, et que demain le même ministre, changeant de doctrine avec les circonstances, vienne faire des distinctions entre les fonctions administratives et les fonctions politiques, entre les questions spéciales et les questions de politique fondamentale, se réservant ainsi la faculté d’avancer ou de reculer, selon les besoins de sa position. les limites de l’indépendance parlementaire ; que l’arbitraire soit substitué à la règle, que les fonctionnaires des deux chambres soient sans cesse placés sous le coup d’une menace, cela n’est tolérable ni pour la dignité du parlement, ni pour la dignité du pouvoir lui-même. La destitution de M. Drouyn de Lhuys et le discours de M. Guizot devaient nécessairement ramener devant la chambre la question des incompatibilités. L’honorable M. de Rémusat, en reproduisant sa proposition, s’est rendu l’interprète du vœu public.

Le ministère demandait un vote de confiance. La question était nettement posée. Elle a fourni à M. Billault l’occasion d’un nouveau succès parlementaire. L’habile orateur n’a jamais été plus incisif, plus pressant, et à la fois plus contenu. Sa modération a captivé les centres. Il faut le reconnaître, le talent et la situation de M. Billault grandissent tous les jours, grace aux fautes de ce cabinet dont il s’est fait si résolument l’adversaire, et qu’il poursuit